Lettre ouverte à mon pédiatre

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Par Kristel

Docteur,

Vous avez suivi ma fille de longues années. Elle a maintenant 12 ans et est en pleine forme.

Vous avez aussi quelques fois reçu son petit frère, qui a maintenant 5 ans.

Je pense que vous êtes un bon médecin, vous savez vous y prendre avec les enfants, vous êtes disponible.

En revanche, j’ai cessé de venir vous consulter pour mes enfants car je me suis rendue compte assez rapidement après la naissance de mon fils, que votre point de vue sur certains aspects de l’enfance dépassait le cadre médical pour empiéter sur le cadre familial et ne correspondait pas (ou plus) à ma vision des choses.

Je n’avais pas réalisé cela avant. Et à mon grand regret tardif, je vous ai écouté en tous points pour ma fille. Essentiellement sur les sujets de l’alimentation et du sommeil (dont vous êtes un spécialiste pourtant).

Il n’y a aucune colère dans ce courrier, juste un besoin de vous faire connaitre mon ressenti et vous présenter un autre point de vue possible.

Je n’espère même pas que vous remettiez en cause vos idées. Par contre j’ose espérer que vous puissiez, d’une manière ou d’une autre, expliquer aux parents que, concernant l’éducation à proprement parler, il existe d’autres idées que les vôtres, qui ne sont que vos propres opinions et non pas des vérités scientifiques [que votre travail est la médecine, pas l’éducation].

D’abord, rapidement, à propos de l’alimentation, puisque c’est le point le moins douloureux pour moi.

En suivant vos recommandations sur l’allaitement maternel, j’ai « alimenté » ma fille au sein pendant 3 mois comme je l’aurais fait au biberon : toutes les 3h, 15 min un sein, 15 min l’autre sein. C’était calculé, mécanique et de fait un peu distant. Vous m’aviez même déconseillé d’allaiter au lit, par exemple, arguant du fait que nous, adultes, nous ne mangeons pas au lit, n’est-ce pas ?

Bref, allaiter n’était plus un plaisir profond, même si au départ ça avait été une évidence pour moi. J’ai fini par sevrer ma fille, entre 3 et 4 mois, sans difficulté d’ailleurs.

Par contraste, avec de toutes autres informations, j’ai allaité mon 2ème enfant durant 4,5 ans, sans y penser vraiment, sans aucune contrainte, dans tous les lieux et toutes les positions possibles. Ce n’était pas délibéré, ça s’est fait comme ça, au fil de l’eau (ou du lait, en l’occurrence).

Et rendez-vous compte, il mange quand même ! Ni mieux ni plus mal que sa sœur, ni plus, ni moins. Il est en plein forme lui aussi. Il sait s’assoir à table et faire un repas social, il mange même à la cantine, c’est dire ! Pardonnez-moi cette pointe d’ironie, qui n’est là que pour souligner que je pense que vos recommandations sur la manière d’allaiter débordent largement le cadre médical. Peut-être avez-vous déjà revu votre point de vue depuis ce temps ?

Mais j’en arrive à cet autre sujet, qui m’a motivé à prendre le clavier après tant de temps : le sommeil de l’enfant !

Vous en êtes un spécialiste, j’ose donc espérer que vous vous intéresserez à ce qui va suivre.

Avant d’aller plus loin, sachez que je me sens terriblement fautive. Je ne me suis pas renseignée à l’époque. Je n’ai pas cherché d’autres avis. Je me demande si je n’avais pas perdu ma confiance en mes capacités d’être mère avec ma césarienne non désirée… Alors, face à un spécialiste en qui j’avais confiance, pourquoi chercher plus loin ?

Alors je vous ai écouté. J’ai mis ma fille dans un joli petit berceau, dans sa propre chambre. Elle n’avait que quelques semaines. Et pourtant elle n’était pas d’accord et nous le faisait savoir ! Mais je n’allais pas me laisser faire ? Je n’allais pas laisser ce petit être décider, n’est-ce pas ?

Alors j’ai tout bien fait comme vous me l’aviez expliqué : la célèbre méthode du 5-10-15 (laisser pleurer le bébé 5 minutes, aller le voir pour le rassurer, en évitant si possible de le prendre dans ses bras, le laisser de nouveau seul et s’il pleure encore attendre cette fois 10 minutes, puis si besoin recommencer l’opération en attentant 15 minutes).

Alors oui, ça a fonctionné. Ma fille a rapidement cessé de pleurer le soir pour s’endormir. Mais maintenant je sais que ce n’est pas du tout parce qu’elle avait compris qu’elle pouvait dormir seule en toute sécurité. Non. C’est juste qu’elle avait renoncé à attendre de moi, sa mère, ce pour quoi j’étais programmée : satisfaire son besoin de proximité, de contact, de sécurité…

Et pourtant j’aurais dû le comprendre ! J’ai tellement pleuré moi-même en regardant les minutes s’écouler lentement ! C’est tellement long 15 minutes ! A mon âge… Alors imaginez à quelques semaines de vie ! Ça me faisait tellement mal que j’aurais dû comprendre que c’était contre nature…

Que lui ai-je fait subir ? Et même sans considérer l’éventuel mal que je lui ai causé, de quels plaisirs me suis-je privés avec ma fille ? Je l’ai découvert bien plus tard avec mon deuxième enfant. Cododo, allaitement à la demande, endormissement au sein… quelle plénitude ai-je pu ressentir avec son petit corps tout chaud blotti contre moi pour s’endormir !

Bien sûr, toutes les mamans ne ressentent peut-être pas ce besoin. Peut-être que pour certaines, vos conseils seront les bienvenus. Mais pourquoi toutes nous priver (ou nous culpabiliser) de ces moments par vos recommandations qui n’ont aucun fondement scientifique ?

Pourquoi vous permettre d’asséner des conseils non demandés sous couvert de votre savoir médical ?

Et vous savez quoi ? je pense que mon fils est normal ! Il est sociable (pas avec tout le monde, il faut le reconnaître), il est scolarisé, dort seul, s’endort seul, dans sa propre chambre, chez ses grands-parents… incroyable, non ? Pour un enfant allaité 4,5 ans et qui a dormi avec ses parents jusqu’à ses 3 ans !

Voilà pourquoi je vous offre ce livre(1). Parce qu’il existe d’autres possibilités. Encore une fois, je ne dis pas que vous faites mal votre travail, je pense que vous êtes un bon médecin. Mais pour le reste, pour ce qui n’est pas pathologique, si vous voulez donner des conseils, pourquoi pas, s’ils sont demandés ? Mais même dans ce cas, je trouverais plus moral de dire aux jeunes parents qu’il n’y a pas qu’une manière de penser l’éducation, que cela dépasse le cadre de vos fonctions et qu’en cette matière vous n’êtes pas plus compétent que n’importe quel parent. Et que leurs idées, tant qu’elles ne mettent pas l’enfant en danger, ne valent pas moins que les vôtres.

Il m’a fallu un deuxième enfant pour comprendre tout ça. J’essaie de « rattraper » toute cette relation manquée avec ma fille, tous ces moments de pur bonheur que je me suis interdits parce que j’ai écouté vos conseils déguisés en recommandations médicales.

Quelques passages du livre « Serre-moi fort » de Carlos GONZALES que je trouve particulièrement inspirants, à lire en contexte pour en mesurer tout le sens :

p.22 « trop de familles ont sacrifié leur propre bonheur et celui de leurs enfants sur l’autel de quelques préjugés sans fondement »

p.13-14 « l’orientation d’un livre – ou d’un professionnel – est rarement explicite. La quatrième de couverture devrait dire clairement : « Ce livre part du présupposé que l’enfant a besoin de votre attention », ou bien : « Dans ce livre, nous partons du principe que les enfants nous font marcher à la première occasion. » Pédiatres et psychologues devraient expliquer la même chose à la première visite.

p.39 (après l’explication précédent cet extrait sur le comportement des mammifères) « il serait ridicule de chercher à expliquer à une lapine qu’elle se doit d’être une « bonne mère » et de passer davantage de temps avec ses petits, de même qu’il serait absurde de dire à une chèvre qu’elle ne devrait pas avoir son petit en permanence « accroché à ses jupes » sous prétexte que son petit a besoin de « devenir indépendant » et qu’elle-même « a aussi besoin de moments d’intimité en couple. » »

p.40 « Si les scientifiques découvraient un nouvel animal, jusqu’ici inconnu, et souhaitaient vérifier rapidement (sans nécessité de l’observer pendant des semaines durant) quelle est sa manière normale de prendre soin de ses petits, ils pourraient mener une expérience très simple : emmener la mère et laisser les petits seuls. Si ceux-ci restent calmes et silencieux, c’est que la norme de cette espèce est que les petits restent seuls. S’ils se mettent à crier comme si on les assassinait, c’est que la norme de cette espèce est que les petits ne soient pas séparés un seul instant de leur mère. Et votre enfant, comment réagit-il quand vous vous en allez ? A votre avis, quelle est la norme de notre espèce ? »

p.42 « Mais, quoique nous ayons appris, lu, vu, entendu, cru ou rejeté tout au long de notre vie, nos enfants naissent tous pareils. Ils naissent sans avoir vu, entendu, lu, cru ou rejeté quoi que ce soit. A leur naissance, leurs attentes ne sont pas marquées par l’évolution culturelle, mais par l’évolution naturelle, par leurs gènes. »

Voilà, cela fait longtemps que j’ai ce courrier en gestation, que j’hésite, que je repousse. Mais je me lance enfin, espérant vous montrer d’autres horizons et tentant modestement de faire avancer la cause des enfants et des parents.

Je vous souhaite une excellente lecture de ce merveilleux livre.

Cordialement,

  1. « Serre-moi fort », Carlos GONZALES

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