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Vers la nuit

Par Lise

Étendu.

Seul.

Espace sans limite.

Mon corps immensément minuscule se perd dans mes gestes éperdus.

Froid.

Chaud.

Depuis combien de temps ?

Seul.

Les cris s’arrachent de mes poumons, sortent salés de ma bouche, transpercent mes oreilles.

Une éternité. Au moins.

J’appelle. Mes larmes m’aveuglent.

Suis-je à jamais seul ?

Mes bras dans tous les sens, mes jambes au loin.

Il fait trop grand, il fait trop froid, mon souffle me brûle.

Les voix. Les voici. Leurs voix magiques, leur main sur mon ventre.

Le calme aussitôt. Bonheur ! Prenez-moi, réchauffez-moi !

Les voix : « Tu vois bien, ce n’est qu’un caprice. Il s’arrête de pleurer dès qu’on entre… »

Je ne comprends pas.

Déjà, ils s’éloignent.

Dans un intense effort, je leur tends mes bras.

Prenez-moi, prenez-moi, vous qui êtes la chaleur, les mots, le temps, la nourriture, l’existence. Prenez-moi, enveloppez-moi.

La porte se referme.

Obscurité.

Mon souffle à nouveau se transforme et m’étouffe.

Le hurlement de mon corps.

Eternité.

Seul à jamais.

Je n’en puis plus.

Je sombre, l’obscurité m’absorbe.

Personne pour moi.

Je ne suis personne.

Seul.

A quoi bon…

Epuisé.

Seul dans le silence immense d’un temps et d’un espace dont j’ignore les limites.

Silence glacial. Je ferme les yeux.

La voix : « Tu vois, il a bien compris que ça ne servait à rien. Le voilà qui dort. Maintenant, il va faire ses nuits. »

Les enfants ne sont pas des machines à bisous

(De la prise en considération du consentement de l’enfant)

Par Marie

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Nous marchions joyeusement dans la rue, ma fille et moi, elle confortablement calée dans son Boba-d’Amour (1) et moi les mains dans les poches.  « Mettez-lui son bonnet, elle va être malade !!! » Bon alors, non, déjà, on ne devient pas malade de l’absence de bonnet (de même qu’on n’attrape pas le rhume par les pieds) et puis ensuite, de quoi je me mêle ?!

En vrai, j’ai répondu au charmant vieux con monsieur qui m’interpellait ainsi. Je lui ai dit « elle ne veut pas le mettre », le montrant dans ma poche. « Comment ?! répliqua-t-il, mais mettez-le-lui, que diable ! (peut-être était-ce moins joliment dit) ». Moi, expliquant : « c’est qu’elle ne veut pas le garder sur sa tête » (rapport à ce qu’elle ne veut pas le mettre, voyez). Lui, insistant, fort de sa (certaine) connaissance des enfants : « Mais voyons, ce n’est pas elle qui décide ! ». Moi, tentant de lui faire comprendre : « Non, c’est elle qui choisit ! ». Le monsieur est parti en haussant les épaules, pensant que c’est ce qu’il avait de mieux à faire sur le moment. En cela, il n’avait pas tort…

Ne jugeons pas cette personne, il a peut-être souffert de ne jamais porter de chapeaux étant enfant alors qu’il adorait ça. Je ne suis pas contre les discussions impromptues avec des inconnus, fussent-elles au sujet de ma fille mais elles se terminent assez rapidement et chacun reste sur ses positions (ceux qui pensent qu’une (2) enfant est « bizarrement installée » en porte-bébé physiologique ne seront pas convaincus du bien-fondé de son usage en trois minutes). Je n’aime cependant pas les conseils à l’emporte-pièce ni les donneurs de leçons (ou alors de musique).

Je suis persuadée qu’une enfant a le droit de choisir certaines choses et souvent à un âge plus jeune que ce à quoi l’on s’attend. À chaque famille de voir ce qui leur convient. J’avoue que sur le choix des vêtements, j’aime autant proposer deux T-shirts plutôt que de la voir fouiller dans la commode (et puis les chaussettes dépareillées, ce n’est pas mon style à moi (3)). Il ne s’agit pas de choses qui nous éloignent de la sécurité : être attachée ou pas en voiture n’est pas une option de choix, bien évidemment.

Mais surtout, il me semble essentiel de respecter un choix qui touche à l’enfant elle-même, à son corps. Ce corps dont elle commence à peine à percevoir les possibilités, à en concevoir les contours, à en mesurer son appartenance et son individualité… « Le droit de disposer de son corps », ça vous parle, n’est-ce pas ?

Le change, l’habillage, toutes ces choses nécessaires et parfois pénibles passent par une mobilisation (et une immobilisation) du corps de l’enfant et devraient (4) être réalisées au moins avec douceur. Quant au non-nécessaire, je crois que nous pourrions faire plus attention au ressenti et au refus de nos enfants.

On s’est toutes et tous demandé si on allait un jour arrêter d’embrasser notre bébé mais finalement, plus vite qu’on ne le pense, elle se met à parler, à dire oui, à dire non et à refuser certaines choses. Une enfant n’est pas bisouillable à souhait en fait (ou alors, tout juste un tout petit peu quand même, au début, quand leur crâne sent le paradis).

« Non, pas de guilis (5) ! » veut vraiment dire stop, même si nous aussi on s’amuse bien, et même si elle en redemande dans la seconde qui suit. Et finalement, ne pas entendre le « non, pas de câlin ! »  pourtant clamé bien fort peut signifier pour l’enfant qu’elle n’a pas son mot à dire lors d’un contact physique. « Va dire bonjour à tonton » peut signifier pour l’enfant, si elle n’est pas d’accord, subir les bisous baveux d’un vieil oncle qui pique, sent mauvais ou que la môme ne sent pas très net dans son rapport avec elle.

Et cela va plus loin que ça à mon avis…

Passer outre le consentement d’une enfant, qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’elle n’a pas à dire si elle et d’accord ou non lorsqu’il s’agit de son corps à elle ? Vous commencez à voir où je veux en venir… Parce qu’en fait, ces histoires de viols, ça n’arrive pas avec un inconnu dans un parking. Ça arrive le plus souvent avec un brave garçon (le fils de quelqu’un, voyez) qui n’a pas entendu le « non ». En tant que parents, nous pourrions écouter un peu plus les refus de nos enfants mais nous avons surtout un devoir d’éducation à cette si importante notion de consentement (6). Même chez les plus petits.


Les con(sen)tentes notes de bas de page :

(1)    Vous en ai-je déjà parlé ? Si non, assurez-vous lors de notre prochaine rencontre de me brancher sur le sujet du portage,  je ne résisterai probablement pas à l’envie de vous en faire l’article.

(2)    A vouloir mettre un/une ou il/elle, on use le lecteur. J’ai choisi d’accorder au féminin dans cet article parce que c’est grâce à ma fille que je l’écris et aussi pour ça : http://www.cemeaction.be/?p=461 

(3)    Coucou Fraiz !

(4)    … dans la mesure du possible car c’est usant de négocier un change… Et puis ça sent mauvais !

(5)    Ma fille dit « lilis », j’adore.

(6)    Lisez ceci : http://www.acontrario.net/2014/01/30/lutter-viol-education-garcons-culture-du-viol/

 

Pourquoi demander un câlin quand les carottes brûlent

Par Lise

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« Faites attention, elle vous fait du chantage », « elle essaye de vous manipuler »…

Si, si, sérieux, ces phrases m’ont été dites au sujet de ma fille de 15 mois, qui pleurait en arrivant dans un endroit nouveau et me tendait les bras en criant !

Avant de s’emballer, consultons  mon vieil ami Robert, des fois qu’un sens m’ait échappé. Et voici ce qu’il dit : « Chantage : moyen de pression pour obtenir quelque chose de quelqu’un », « Manipuler : influencer habilement un individu pour le faire penser, agir comme on le souhaite. »

Du calme, réfléchissons. De deux choses l’une : je prends les mots au pied de la lettre, et en déduis que, par ses larmes, de son chagrin et de ses craintes, ma fille essaye d’obtenir de moi que je la rassure et que je la console… Mais alors, à quoi dois-je faire « attention » ? Ne suis-je pas sa mère, celle qui, en lui donnant le jour, lui ai promis de lui offrir protection et amour ? Auquel cas il me faut comprendre que ma fille me demande un câlin, parce qu’à ce moment-là, elle en a besoin, et lui concéder parce qu’il est avant tout un plaisir pour moi…

Ou alors, je m’emballe, finalement, et j’entends chaque mot. Oui, mon enfant, cette petite personne blonde qui n’articule pas encore plus de deux syllabes, qui passe son temps à me sourire et à m’embrasser en riant, qui lance des baisers aux gens qui lui sourient dans la rue, et qui est encore si fragile qu’un bruit trop fort suffit à lui faire monter les larmes aux yeux, cette enfant-là calcule que lorsqu’elle entre dans un endroit nouveau qui l’effraye, son intérêt est de feindre la peur, de mimer le chagrin, de sorte à m’extorquer… quoi, en fait ? Malgré toute ma « bonne volonté » (douteriez-vous par hasard de mon impartialité dans cette histoire ?), je n’arrive pas au bout de ce raisonnement. Non, ce n’est pas seulement que je sais ma petite incapable de manipulation, mais surtout que je ne vois pas ni comment, ni pourquoi elle s’y essaierait.

Et pourtant, il est difficile d’être absolument sourd à ce genre de remarques, qui résonnent comme un écho assez souvent malgré tout. Ce doit être une habitude d’adulte : ce qui s’oppose à nos désirs de tranquillité et de liberté est forcément l’œuvre de machiavéliques manipulations fomentées par des personnes malveillantes qui ne cherchent qu’à vous déranger.

Allez, je lance une petite comparaison, parce que j’adore ça : vous êtes en train de vous bagarrer avec le linge à étendre, les carottes qui brûlent, le téléphone qui sonne et votre estomac qui gargouille. Pendant ce temps, votre conjoint(e), confortablement installé(e) sur le canapé, est derrière son ordinateur en train de faire, disons la comptabilité pour dire qu’il/elle œuvre aussi pour la cause commune. Peut-on dire, au moment, où, épuisé(e), agacé(e), larmoyant(e) peut-être, vous vous jetez sur lui/elle en criant « je n’en peux plus, viens m’aider, bouge, et prends-moi dans tes bras tendrement par-dessus le marché ! », que vous êtes en train de l’interrompre volontairement dans son activité, pour l’amener, par la manipulation et le chantage, à faire ce que vous voulez, sans autre but que le déranger ? Votre conjoint, emporté par ce qu’il fait, pourrait peut-être un instant le croire, mais soyons sérieux…

Eh oui, je pense avant tout que les enfants, si petits soient-ils, sont des personnes. Comparer leurs ressentis et même leurs actions avec les nôtres aide, je trouve, extrêmement bien à essayer de comprendre. Et comparer notre relation de couple, notre manière de nous adresser l’un à l’autre, est souvent une bonne clé (qui fonctionne, qui plus est, dans les deux sens !)

Pourtant, j’ajoute encore une nuance : aussi proches des nôtres soient les ressentis, les émotions et les besoins des enfants, je crois qu’ils sont plus forts et plus envahissants dans leurs petites têtes qui n’ont pas encore acquis l’expérience qui permet de relativiser, pas plus que celle qui permet de… manipuler !