Archives du blog

Ta naissance

Par Elise 

11031066_969477379762352_5102597166991122551_om

Ça a commencé tard dans la nuit vers 5 heures, des contractions différentes, celles qui m’ont dit ça y est, on y est, c’est pour aujourd’hui, c’est un beau jour le 7 septembre… Ton papa et moi on s’est levés tranquilles et heureux, on a fait un tour en ville, on a été dans notre café préféré, sans que les gens autour aient conscience de ce qui se déroulait en moi… J’ai accueilli chaque contraction en douceur, en soufflant, laissant aller ces premières vagues… et c’est dans l’après-midi à notre retour à la maison que tout a basculé, vers notre rencontre avec toi.

Ton papa prépare l’appartement pour ta naissance. Il range, nettoie, organise… Je m’installe dans le salon sur le canapé après avoir tiré les rideaux, allumé une lumière douce. Je suis impressionnée tout d’un coup par l’intensité de ce que je ressens, je suis émue, je me sens seule et perdue, je ne sais plus comment me mettre… Coup de téléphone à A. ma sage femme puis à F. ma doula. Il est 16h. Elles se mettent en chemin. J’appelle à la rescousse ton papa, il était dans la pièce à côté, il va me faire couler un bain. Je m’y installe et je relâche la pression… Les contractions sont toujours là mais je sens rassurée et je me détends.

A. arrive, elle vient me voir et écoute ton cœur, tout va bien… je suis toujours dans le bain, F. arrive à son tour, elle me verse de l’eau chaude sur le corps, je me sens entourée et choyée, et j’ai faim, envie de gnocchis ! Ton papa me les prépare, je mange un peu, et bois du thé, toujours dans mon bain. J’ai envie de sortir, de bouger. Je me sèche, me couvre d’un paréo entre deux contractions, et retourne dans le salon, il doit être doit être 17h30 je pense, mais je commence à perdre la notion du temps.

Je m’assoie sur le canapé, première contraction, je recommence à me crisper, je me réfugie à quatre pattes, je me sens perdue à nouveau, le souffle coupé. F. s’approche avec une écharpe de portage sur les épaules, et me tend un bout pour chaque main. Je m’accroche, je me suspends, elle fait pilier ! Ouf, je libère mon bassin ! Et je peux respirer de nouveau… M’accrocher pour me suspendre et avoir le bassin libre m’aide tellement. Alors à chaque contraction, elle revient, elle est là, je m’accroche… Et entre les contractions, je me relâche, pour un temps de repos… Ensuite c’est ton papa qui me tend l’écharpe et qui me soutient. Et vient le tour d’A., tour à tour ils se relaient, sans avoir besoin de mots, ils sont là. Ils sont silencieux. Ils me soutiennent. Je suis dans mon monde, dans ma bulle. Deux petites lumières éclairées dans la pièce, une s’éteint, soulagement.

Je commence à sentir que je m’épuise, je ne vais plus avoir l’énergie de me soutenir de tout mon poids par la force de mes mains. F. me propose d’aller dans la chambre sur mon lit, sur le ballon. Je ne sais pas trop, j’accepte. On y va, elle me guide, je me mets à genoux, et pose mon corps sur le ballon. Une contraction… j’ai besoin de m’accrocher à quelque chose. Une serviette. Il y a une serviette autour du ballon, c’est bon, je m’accroche ! Je m’accroche de toutes mes forces, à chaque contraction, puis me relâche. Ton papa est à côté de moi. Je m’accroche à lui. Je me demande où je vais, si je vais y arriver. Les contractions sont très rapprochées. Je rêve d’une grande pause pour m’allonger et me reposer ! On essaie entre deux, je m’allonge sur le côté, contre ton papa. Je sens la contraction arriver. Impossible de rester comme ça, impossible, je bondis sur le ballon et je m’accroche… Soudain je perds les eaux.

Ah, ça m’encourage ! Je me dis que tu fais ton chemin, que j’y arrive !! A. écoute les battements de ton cœur, tout va bien… Et ça repart de plus belle, et j’ai confiance. Je sens des picotements dans mon sacrum. Puis je sens que tu es descendue, je te sens derrière, comme si tu allais sortir de mes fesses. Ça ne me surprend pas, j’ai lu des témoignages d’accouchement et les mamans l’ont ressenti aussi. Je me dis que c’est donc une étape de plus de franchie ! Ça me donne du courage ! Et il m’en faut beaucoup… c’est si intense et inconnu !! Moment de doute, je demande à A. si je fais ce qu’il faut, si j’y arrive… elle me rassure, c’est parfait, et ta naissance ne tardera pas… On a fait une bonne partie du chemin ! On me propose de marcher un peu, d’aller faire pipi. Je ne sais pas trop, OK on y va. A peine posée sur les toilettes, je la sens revenir ! La contraction est là, aidez-moi, je veux m’accrocher… Ton papa est là. Je me cramponne à ses épaules. Je retourne dans la chambre, à peine deux mètres à marcher, la contraction est là, je suis debout, comment on fait ?!? Ton papa me tend ses bras, je me cramponne à nouveau. Je suis debout et je me cramponne. Je veux qu’on continue comme ça, je sens que c’est ça qu’il me faut. Debout, face à ton papa, je suis accrochée à ses épaules. À chaque contraction il soutient presque tout mon poids. Il travaille avec moi. F. me propose de poser un pied sur le lit. Allez j’essaie. On y est. C’est là, ça y est, je sens que ça pousse !!! Ça pousse tout seul ! Je me réjouis, je sais que là on est vraiment près du but ! Une autre contraction, ça pousse à nouveau ! Je leur demande si elles te voient, oui ! Elles voient tes cheveux !! Elles me proposent de te toucher… je touche, je crois que je sens ta tête, c’est mou je ne sais pas trop… si si, elles m’assurent que c’est toi ! Alors là j’ai confiance, je sais qu’on y est ! Prochaine contraction… je sens… ta tête sortir !! Ta tête est sortie ! Et maintenant, je fais quoi ??? On va attendre tranquillement la prochaine contraction me dit A.. Elle écoute ton cœur… tout va bien, tu n’es pas du tout perturbée… Il est 21h30. Dernière contraction, bloup tu sors ! Ton corps est sorti si vite, en un instant ! Je me retourne, et je te vois enfin, et je te prends dans mes bras…

S’allonger sur le lit, t’avoir contre moi, être là, à trois. On se pose, on apprécie chaque instant. Ressentir ton petit corps, toucher ta peau, t’entendre respirer. Au fait ! Tu es… une… fille !! On avait eu envie d’attendre de ta naissance pour le découvrir… quel bonheur ! Les moments suivants sont un peu flous, mélangés dans ma mémoire… Certains détails sont bien nets. Je te revois t’essayer à téter pour la première fois… Ton papa couper le cordon, un moment après qu’il a cessé de battre… Ton placenta sortir, quel soulagement !! Je me détends. F. me demande quel est ton prénom. Annabelle… On se repose à trois. A. et F. se sont éclipsées dans la pièce à côté. Puis A. m’a examinée, mon périnée va bien, pas besoin de point, ouf ! Elle t’a posée un court instant sur la balance à côté de moi. Tu es allongée contre ma poitrine. On est bien. On est dans notre bulle à 3. Douce première nuit…

Chute libre, une naissance respectée

Par Lise

????????????????????????

Elle avait commencé un peu plus tôt que dans mes plans, mais c’était une grossesse sereine et gaie la plupart du temps. En cette fin janvier, je me sentais en pleine forme, et débordante d’envie de profiter quelques temps encore de mon bébé en-dedans et de ma rondeur fière. Il bougeait beaucoup, fort, et j’aimais par-dessus tout mettre ma main sur son petit pied en bas à gauche, qui se déplaçait lentement, tandis que ses fesses en haut à droite pointaient et se blottissaient contre mon autre paume. Avec D., au fil des séances d’haptonomie prénatale, Andrea et moi avions découvert et accompagné ses mouvements, faisant de ce petit être invisible quelqu’un de plus tout à fait inconnu, et dont la rencontre secrète nous avait rapproché en tant que couple.

Nous avons longuement hésité sur le lieu où nous voudrions mettre au monde ce bébé. Après coup, j’ai même des difficultés à me souvenir pourquoi, tant à présent tout me semble avoir été parfait ainsi. Simplement, il est difficile de s’extirper des chemins habituels, des phrases, des craintes et des jugements répétés et martelés. Et puis le fait d’être en location meublée, que les propriétaires risquent d’être là, qu’il n’y ait pas de baignoire, qu’il faille préparer les repas… Quoi qu’il en soit, bien que les prises de décisions soient toujours difficiles pour moi, primordial a été le fait que différentes alternatives existent et que nous ayons pu opérer à un vrai choix, en conscience et réflexion, pour décider où nous mettrions au monde notre enfant. Dès lors, je me suis sentie libre, responsable, puissante et sécure.

Fin janvier, me suis mise à tousser très fort pendant deux jours, et j’ai senti que cela bousculait un peu trop tout cet éphémère équilibre. Non, il n’attendrait pas le printemps pour se rompre. En effet, samedi 30 janvier en me levant, j’ai eu quelques doutes, continuant cependant ma journée normalement. Mais à minuit tout pile, une sensation étrange et nouvelle de vagues aqueuses et tièdes m’a fait comprendre que c’était la fin des eaux et le début de la suite…

Je suis restée la nuit sans dormir, mais ne m’en souviens presque pas. C’était la deuxième que je passais à arpenter l’obscurité, saisie de quintes de toux et de remontées acides. Quelques contractions commençaient à pointer. Je sais que j’ai écrit longuement dans le salon, une lettre à mon bébé, et puis mes pensées, assise sur le gros ballon, parce que j’ai retrouvé les papiers, mais l’avais oublié.

Je n’avais tellement pas voulu envisager que bébé arrive si tôt, ni imaginé que cela commence par la perte des eaux, que je ne savais plus que faire. Je ne voulais déranger personne à minuit, je n’avais pas encore de contractions, et une partie de moi continuait à ne pas croire que la naissance soit imminente. Mais d’un autre côté montait la crainte de devoir être transférée à l’hôpital si le travail ne démarrait pas assez vite après la rupture des poches…

Stella parlait dans son sommeil, se réveillait à moitié… elle avait senti quelque chose, sans aucun doute. Vers 6h30, elle est venue me rejoindre au salon pour m’annoncer qu’elle avait « fini de dormir ! » Et ta sœur ? (Ah non, c’est un frère…) Je suis retournée me coucher avec elle. Et puis, à nouveau, je ne sais plus. Nous nous sommes tous levés vers 8h, les contractions se poursuivaient, mais toujours espacées, peu régulières, et tout à fait gérables en respirant bien. Nous avons déjeuné, c’était dimanche matin, et je ne voulais priver personne de grasse matinée. Vers 9 heures, j’ai finalement annoncé à Stella qu’elle allait partir chez sa copine, et que quand elle reviendrait le lendemain matin, son petit frère serait probablement né. Elle s’est mise à sauter de joie dans le salon en criant « youpi ! youpi ! ». Pendant qu’Andrea l’aidait à se préparer, j’ai fini d’étendre le linge dans les escaliers, m’appuyant contre le mur à chaque contraction, un peu plus forte que la précédente, mais toujours assez espacée pour que je puisse étendre plusieurs chaussettes d’affilée. Alors, je suis allée lire Astérix sur le lit. Cette fois, il fallait quand même que je ferme les yeux à chaque contraction, mais j’arrivais encore à lire quelques bulles de suite. J’étais fatiguée par les nuits sans dormir, mais j’hésitais à monter et descendre les escaliers pour accélérer le travail, à cause de la crainte de devoir partir à l’hôpital en raison de tout ce temps déjà écoulé depuis la rupture de la poche des eaux. Andrea est rentré vers 10h30. Je suis allée prendre une douche pendant qu’il rangeait un peu la maison… Un tout petit peu, parce que j’avais besoin de ses bras à chaque contraction l’appelant d’un « contraction ! » tonitruant, et que celles-ci se sont soudain accélérées, devenant très longues et très rapprochées. Je glissais des images dans ma tête : mon utérus entouré de rubans multicolores et verticaux qui serrent les rubans bleu pâle horizontaux que je m’efforçais de détendre et de laisser s’ouvrir. Cela fit du bien. Je me vis cloche, avec une tête minuscule, et grande ouverte en bas, je me laissai partir sur des paysages de neige vierge scintillant de tous ses cristaux au lever du soleil sur des sommets infinis, je visualisai mon tout petit bébé inconnu descendre… Et j’appellai encore et encore Andrea, qui lâchait draps, assiettes, jouets et papiers pour accourir, m’entourer, me soutenir et m’effleurer le dos.

???????????????????????????????

La douche, pour la naissance de Stella, m’avait tant soulagée que j’avais rêvé cette fois d’une baignoire d’eau chaude pour traverser le travail (la présence de celle-ci à l’hôpital, désormais équipée, avait été une de mes principales sources d’hésitations pour accoucher là-bas !). F. devait d’ailleurs en acheter une qu’elle m’aurait louée… trois jours plus tard. Sauf que cette fois, la douche ne soulageait rien du tout. Je n’arrivais pas à rester assise sur le ballon, que nous avions glissé à l’intérieur, et je claquais des dents. Et puis j’étais trop fatiguée pour rester debout.

De tous les endroits de la maison où j’aurais pu donner naissance, j’avais, dans mes rêves, éliminé notre lit. Et c’est pourtant là que je me suis précipitée aussitôt séchée et habillée. Bon, ma tête n’en était toujours pas à donner naissance, c’est vrai. Comparant mes sensations à celles vécues lors de la venue de Stella, j’estimais que bébé serait là peut-être en fin de journée. Andrea, lui, avait bien vu que tout était allé bien plus vite, et avait rappelé F. la doula, et A. la sage-femme pour leur demander de venir. Elles sont arrivées l’une après l’autre un peu après 11 heures, alors qu’Andrea avait déjà installé la bâche sur notre lit, sur lequel je me tenais à quatre pattes, appuyée sur des coussins, puis sur le ballon, puis, parce que mes bras tremblaient trop pour me soutenir, allongée sur le côté, lovée autour de mon coussin d’allaitement, que je n’ai plus quitté. Moi qui avais rêvé de rester accroupie pour voir apparaître mon bébé devant moi…

J’ai mis l’enregistrement d’hypnonaissance utilisé lors de la naissance de Stella. Mais tout allait trop vite, tout était trop puissant, changeant, intense, pour que je puisse y trouver le moindre recours. Seulement, je l’ai mis en boucle, et il jalonnait un peu le temps, dont j’avais perdu toute notion. A. et F. étaient silencieuses. A., assise près de la porte, s’est approchée pour écouter un instant le cœur du bébé, et m’a souri lorsque je lui ai demandé si tout allait bien. Chacun avait sa place, et tous étaient paisibles. Andrea me tenait la main, m’effleurait le dos, m’offrait l’ancrage de sa main tiède dans le creux de mon genou. F. me faisait de l’air, massait là pile poil où ça faisait du bien. Les contractions se succédaient, toutes différentes tant tout allait vite. J’ai perdu un moment le fil de ma respiration, me noyant un peu dans la douleur… Je me rappelais la courbe qu’elles dessinaient : une sinusoïde d’environ 1 minute, augmentant jusqu’à l’apogée que je supportais en la sachant suivie de la redescente. Puis jusqu’à 2 minutes de pause, dans laquelle je me plongeais en essayant de relâcher chaque muscle et de rechercher quelques gouttes de bien-être profond. Le soleil a soudain percé plus fort à travers le rideau, me faisant sursauter. Mais il m’a fait plaisir, c’est drôle, j’avais un peu rêvé d’accoucher au soleil. J’avais chaud, très chaud, trop chaud. Un peu d’infusion au miel, difficile à boire (nous n’avions que d’énormes pailles à Stella !) m’a fait du bien.

Et puis j’ai reconnu la sensation de poussée. J’éprouvais à la fois soulagement, sachant que cela annonçait la fin, et crainte, me sentant faible et même paresseuse pour ce dernier exercice. J’ai un peu ronchonné pour dire que j’en avais assez, les rires autour de moi m’ont redonné du courage. Moi qui avais parfois regretté de ne pas voir compris vraiment ce qui se passait lors de mon premier accouchement, je sentais cette fois avec précision l’avancée du bébé, sa descente dans mon bassin. On m’a aidée à me déshabiller. Entre deux contractions, j’ai demandé à Andrea s’il ne voyait rien qu’il ne veuille pas voir, il a répondu que non, j’ai insisté, c’était important. Toujours le calme et le silence, quelques chuchotements discrets seulement. Malgré tout, les images d’escalade me sont revenues à l’esprit. Ce n’était pas une question de compétition, cette fois, de cris, de pression… Mais j’étais suspendue quelque part en l’air, surplombant un vide invisible et démesuré. Aucun retour en arrière envisageable, la seule possibilité étant de monter plus haut, d’atteindre le sommet avec le bout de mes forces, toute mon énergie, sans même penser un instant à lâcher tant la chute est inconcevable… bander ses muscles et savoir de tout son être que l’on peut arriver au bout, que l’on peut, que l’on doit, et qu’alors, au sommet, on pourra jubiler et que tout ira bien. J’ai senti une première poussée m’étreindre, faire avancer le bébé, j’ai essayé de l’amortir un peu dans un soupir, mais le bébé a reculé. « Oh non, il est reparti ! » ai-je dit, un peu déçue, un peu pour rire. Alors, je n’ai plus lâché. J’avais enfin cette liberté qui m’avait tant fait défaut lors de mon premier accouchement d’agir uniquement et seulement selon mon ressenti. Je poussais, soufflais, ne bloquais pas, retenais comme je le souhaitais et comme cela venait. J’étais accrochée à Andrea, tirant sur ses mains, et lui me retenant. A. appuyait en bas de mon bassin, et cette sensation d’être contenue et retenue me soulageait. Lors des pauses, je posais ma main sur mon ventre, et je pensais fort à mon bébé, qui était tout seul dans le noir et poussait certainement lui aussi, et lui disais du bout des doigts que nous étions ensemble, que nous sentions ensemble, qu’il ne devait pas s’inquiéter parce que nous allions y arriver tous les deux, et que bientôt je le prendrais tout contre moi. Un relâchement (comme, lorsqu’enfin on pose une dégaine et que l’on peut un instant reposer ses bras, suspendu à sa corde). « Sa tête ! » a dit quelqu’un. « Ça y est, il est sorti ? », ai-je demandé. Rires gênés. « Seulement la tête… » Je me rappelais que le corps était moins difficile. Nouvelle poussée, s’élever à nouveau loin du sol, les épaules, retenues en arrière par le cordon enroulées autour « C’est pas possible, il est losange, ce bébé ! » ai-je pensé…Et puis ça a été fini, brusquement. Tout était fini. Je m’étais rétablie sur l’herbe en haut de la falaise. Et j’étais toute vide.

Alors, soudain, tout s’est relâché en moi, et cela a été la cascade, des trombes d’eau qui, cette fois, sortaient par mes yeux, sans retenue, des larmes d’enfant venues de très loin, qui ne brûlaient pas de tristesse ni de colère, juste des larmes du fond, des lames de fond, qui devaient sortir elles aussi. Pendant ce temps, mon bébé était en bas, derrière moi, et je voulais le prendre, le voir, ne pas le laisser tout seul (j’ai été rassurée ensuite de savoir que, pendant tout ce temps, A. l’avait tenu dans ses mains blotti), mais je ne pouvais pas bouger, trop fatiguée. Quand le torrent s’est tari, quelques minutes plus tard, A. a déposé mon bébé tout contre moi. Je me tortillais pour voir ses yeux, mais il m’a fallu encore patienter un peu, pour l’instant il était roulé en boule de profil. Ça y était, ça y était, mon tout petit bébé que je n’attendais pas encore était dans mes bras, pour de vrai de vrai. Et je n’arrivais pas à le réaliser. Il était 13h03.

Ensuite, nous avons attendu le placenta. A. souriait et disait que nous avions le temps, mais j’étais fatiguée et inconfortable et avais hâte que ce soit fini. Enfin, il est arrivé. Bébé y était toujours attaché, A. et F. l’on enveloppé à côté de nous jusqu’à ce que le cordon cesse de battre tout à fait. Lorsque ça a été le cas, longtemps plus tard, Andrea l’a coupé. Ce n’était pas un geste hâtif presque obligatoire, un acte à faire vite avant que « ça » parte à la poubelle, non, il l’a fait en parlant, tout content. Il a aussi révélé qu’il avait regardé, depuis mes côtés auxquels il se trouvait, la tête du bébé sortir, lui qui avait tant répété que jamais-jamais il ne voudrait voir une telle chose. « Oui, mais là, tout est si différent… » a-t-il dit. Si bien que, le placenta qu’il avait aussi prévenu ne jamais-jamais vouloir voir, nous l’avons contemplé ensemble, membranes déployées au-dessus révélant la tente secrète à l’intérieur de laquelle Livio avait passé tout ce temps, puis étendu à plat sur son verso, arbre aux branchages de vaisseaux. Tout semblait simple, normal, dépourvu d’inquiétude et de gêne…

Pendant que je me reposais un peu, A., F. et Andrea ont rangé et préparé des pâtes. Andrea a mis la table dans la cuisine, faisant rire F., qui lui a dit qu’ils n’allaient quand même pas manger sans moi. Et alors, nous avons, tous ensemble, en discutant, riant et parlant de ce qui venait de se passer, mangé nos pâtes assis sur le lit au soleil, tandis que Livio s’essayait à sa première tétée.

IMG_0015m

Et puis, c’est Andrea qui l’a posé sur la balance, après que nous ayons lancé les paris sur son poids (3,980 kg). Il a été mesuré trois jours plus tard (52 cm), et a subi le test de Guthrie à 5 jours. Rien d’autre. Le bain a attendu une semaine. Ensuite, je suis allée prendre une douche revigorante, F. et A. ont pris congé une après l’autre, et nous nous sommes remis sur le lit tous les trois, en peau à peau, jusqu’à-ce que la nuit tombe, dans une sorte de bulle douce…

Andrea avait été lui aussi imprégné de toutes ces hormones et sensations, car, pendant quelques jours, il a été épuisé, et réveillé par chaque petit bruit de bébé, même dans une autre pièce, tout comme moi. Après quelques temps, à nouveau, il n’entend plus les pleurs lorsqu’il dort !

Il est allé chercher Stella le lendemain matin. Ils sont allés déclarer Livio ensemble à la Mairie. Quand elle est arrivée sur le pas de la porte, mes genoux relevés l’empêchaient de voir bébé, couché derrière. « Il est où, mon bébé ? » a-t-elle demandé d’un air inquiet. J’ai baissé mes jambes, et son visage s’est éclairé. Elle s’est précipitée vers lui en poussant de drôles de tout petits cris aigus, l’embrassant et le caressant longuement. Puis elle est allée chercher un livre pour lui raconter une histoire.

La sage-femme A. est revenue 5 fois la semaine suivante. J’attendais sa visite avec impatience toute la journée. Pour ses conseils et son soutien, mais aussi parce qu’elle avait complètement fait partie de cette naissance, et que retrouver quelqu’un d’intérieur, avec qui je pouvais reparler de ces instants, poser mes questions, vérifier mes souvenirs… était quelque chose dont j’avais infiniment besoin. Cette naissance et sa mémoire n’ont pas été délaissées dans un coin anonyme d’hôpital parmi des étrangers qui l’auront oubliée l’instant d’après. Il en reste comme quelque chose de plus fort entre les personnes présentes. F. est revenue me voir aussi, et m’a écoutée et consolée dans ce qui me faisait mal de cette naissance à laquelle je n’étais pas encore prête. Une semaine plus tard, en effet, j’en pleurais encore : mon corps ne gardait déjà presque plus de trace de cette grossesse qui, dans mon esprit, n’aurait pas dû être déjà achevée. Je me sentais si vide… A. et F. m’ont entourée jusqu’à-ce que j’arrive à nouveau à regarder en bas de la falaise, leur présence est allée bien au-delà de l’accouchement en soi.

A présent, tout va mieux. Nous sommes fiers de cette naissance heureuse, qui nous a fait faire des choses que nous n’aurions jamais imaginées ou assumées (oui, le placenta sera enterré sous un arbre…), aller au-delà de nos blocages, idées, et de celles des gens (parfaitement, nous avons menti tous les deux à ceux qui nous demandaient où nous allions accoucher, tant, en fin de grossesse, leurs commentaires tout faits nous étaient lourds à entendre), fiers de notre petit garçon tout rond-losange et du fait d’être désormais quatre. Et résolument heureux de cette naissance qui ne m’a laissé aucune blessure physique, ni aucun regret, doute ou tristesse dans nos esprits.


Pour répondre à certaines questions qui nous ont été posées :