Quand j’étais petit… je n’étais pas grand

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Par Lise

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Il y a quelques jours, un monsieur aux cheveux blancs m’a abordée dans la rue, alors que je marchais main dans la main avec ma petite Loutre. Peut-être avait-il pensé que je venais de la rabrouer (je venais, de fait, de lui intimer de me donner la main car nous étions au bord d’une route où passaient beaucoup de véhicules à vive allure), peut-être avait-il juste envie de me communiquer son idée. « Rappelons-nous lorsque nous étions nous-mêmes enfant », a-t-il déclaré sobrement.

En vérité, c’est une réflexion que je me fais souvent. J’ai un souvenir vif d’avoir, vers 5 ans, couru dans un bois avec une amie de mon âge. Celle-ci s’est faite sèchement réprimander pour une raison qui m’a semblé à l’époque injuste (et que j’ai aujourd’hui oubliée), et elle m’a alors dit :

« Quand je serai grande, je me rappellerai toujours de ça, et je ne le ferai jamais à mes enfants !

– Moi aussi, ai-je promis. »

La suite de l’histoire veut que, lorsque j’ai récemment raconté cette histoire à l’amie en question, elle aussi devenue maman, celle-ci m’ait avoué n’en avoir pas le moindre souvenir. Et, m’a-t-il semblé, pas le moindre regret d’avoir oublié. Or, c’est cela que je trouve le plus terrible, ce détachement, ce désintérêt. Je me souviens m’être souvent demandé, étant enfant, comment il se faisait que la majeure partie des adultes semblaient ne pas se rappeler de ce qu’ils avaient ressenti étant enfants et agissent comme s’ils ne l’avaient jamais été. En fait, cela était, en vérité, assez rare en ce qui concernait mes parents, qui, tout deux, nous racontaient des histoires de leur enfance et semblaient assez bien se rappeler de « ce que cela faisait ». J’étais donc rassurée quant au fait que c’était possible, et que plus tard, moi aussi, je me souviendrai et agirai en fonction. D’autre part, si le mystère restait entier concernant les autres adultes, je me disais que les enfants de mon âge, qui grandissaient en observant ce que j’observais, feraient forcément différemment lorsqu’ils seraient à leur tour adultes. Et pourtant… lorsque je regarde autour de moi au parc, dans la rue, force m’est de constater que les nouveaux parents de mon âge sont en tout semblables à leurs parents, frappés à leur tour par l’oubli. Et pourtant, nous, ce n’est pas pareil : nous étions enfant il y a peu de temps… non ?

Quand je parle d’oubli et de détachement, je ne veux pas parler des souvenirs consciemment imprimés en mémoire que, bon gré mal gré, on a pu oublier. En vérité, ce qui me semble important, ce n’est pas tant de se rappeler véritablement, mais de chercher, aussi souvent que possible, à imaginer, à se projeter, à s’immerger dans la peau de l’enfant qu’on a été, ou, plus encore, de celui qui se trouve actuellement devant nos yeux et qui, lorsque l’on reste bien ancré dans son regard d’adulte actuel, semble parfois si incompréhensible. Bref, l’idée n’est pas de se couper les jambes pour être à sa hauteur, mais simplement de se rappeler, aussi souvent que possible, de plier les genoux pour croiser son regard…

Ainsi, parfois, je joue au jeu du retour en arrière. Je me replonge dans quelque souvenirs, et hop ! Je regarde à travers les yeux de celle que j’étais. Ce n’est plus à la place du parent qui est en face de moi que je me mets, mais à celle de l’enfant. Eh ! bien, se sentir soudain tout petit alors qu’on en a perdu l’habitude, ça fait drôle, et ça aide bien à réfléchir. Evidemment, après ce genre d’exercice, j’ai du mal à dire à ma fille « on arrête de jouer, c’est l’heure de rentrer », tant je me souviens avoir pensé « quand je serai grande… je laisserai mes enfants jouer tant qu’ils voudront, parce que je me rappellerai comme c’est difficile d’arrêter un jeu en plein milieu, et triste de quitter des copains qu’on s’est à peine faits »… Mais, de façon presque magique, j’ai l’impression que la manière dont je prépare, formule et explique ma demande est bien différente, car elle obtient (la plupart du temps…) un résultat plus simple et plus paisible qu’un impératif « c’est fini, on y va ! » lancé un jour pressé.

La question que je me pose à ce point est : « est-il possible que tous ces adultes ne se rappellent VRAIMENT pas ? » Ont-ils vraiment oublié, n’ont-ils pas l’idée de se souvenir, pas l’envie… ? Cela m’intéresserait de le savoir. Je ne parle pas tant de souvenirs précis que l’on peut raconter, que de sensations diffuses perceptibles à nouveau, même de manière vague, en « pliant un peu les genoux »… De plus, je ne suis pas certaine que pour comprendre ce qu’un enfant ressent et la manière dont on pourrait lui rendre les choses plus faciles il soit absolument nécessaire de se souvenir de sa toute petite enfance : et la semaine dernière, quand vous vous amusiez comme un fou/folle avec vos amis et qu’il a fallu partir brusquement ? Ou il y a une heure, quand vous avez eu envie d’un croissant au beurre et que… personne ne vous a répondu qu’il s’agissait d’un caprice et que ce n’était pas l’heure un point c’est tout… ? Et oui, l’enfant-vrai-petite-personne, pour se mettre à sa place, il suffit… de s’y mettre en tant que personne pareil-un-peu-plus-haute. (1)


  1. Je ne suis pas en train de dire par cela qu’il faut accéder à toutes ses demandes, seulement que l’on peut comprendre celles-ci comme étant recevables de la même manière que celle de n’importe qui et qu’elles exigent une réponse (fût-elle un refus) formulé de la même manière qu’on la souhaiterait formulée pour nous. (2)
  2. Et c’est là que vous allez me répondre : « oui, mais si alors mon enfant se met à crier, à se rouler par terre, lui ne répondra pas comme je le ferais », et moi, j’oserai dire : « C’est au parent de se comporter avec son enfant comme s’il était lui-même (ou tout autre personne respectable), l’enfant, lui, est un enfant, et il n’a pas à se comporter en réponse comme un adulte ». Là, vous allez peut-être vous fâcher, et me dire : « mais c’est idiot, je ne vois pas pourquoi moi, je devrais répondre à de telles exigences, alors que lui, il fait n’importe quoi, il crie, et tout ça. C’est pas juste ! » Et… que répondriez-vous, justement, à votre enfant, s’il vous disait une telle chose alors que vous êtes en train de lui demander de faire des efforts ? Euh… la boucle est bouclée, n’est-ce pas ?

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