Cinq minutes (une autre fois)

Par Delphine

Cinq minutes Le temps qu’il me reste avant la sonnerie. Cinq minutes. Si je marche à reculons, elles rallongeront. Je me retourne. Le brouhaha dans mon dos forme comme un immense coussin sonore, fait de voix d’enfants entremêlées, certaines joyeuses, d’autres effrayées, toutes chargées de vitalité. Des bribes de conversations me parviennent. Les questions soulevées passionnément me paraissent absurdes, leur logique enfantine m’échappe. Quelques pas de plus et me voilà déjà au cœur de la mêlée. Si je ferme les yeux, les minutes s’étireront.

Près de mes pieds roulent des billes. Un avion en papier couvert de messages guerriers frôle mon oreille. Toute une troupe de galopins passe à cent à l’heure sans me remarquer. Deux petites mains s’agrippent soudain à ma jambe, cachette inespérée, le petiot pivote puis s’élance dans un rire strident, échappant à ses poursuivants.

Encore dix pas, rythmés par une grande corde qui frappe le sol régulièrement, toujours à l’instant même où s’élèvent six pieds d’acrobates en herbe, si bien coordonnés. L’air fouetté par la corde soulève mes cheveux, caresse ma joue. Une voix, haute et légère, fredonnant un refrain presque oublié, se faufile à travers la mêlée et parvient à mes oreilles. À moins que ce ne soit un souvenir, mon propre chant enfin revenu, alors que je l’avais laissé s’enfouir de plus en plus profondément dans les tréfonds de ma mémoire, étouffé sous les épaisseurs toujours plus nombreuses des expériences nouvelles, sous ce amas quasiment impénétrable des préoccupations quotidiennes, impérieuses qu’elles soient graves ou futiles. Ce refrain familier s’est frayé un chemin jusqu’à moi, et voilà qu’en retour, à travers le tourbillon des jeux et cris d’enfants, je parviens peu à peu à glisser vers lui. J’ai découvert le sentier sinueux menant à ce souvenir, à mille autres aussi, plus jamais je ne le laisserai s’effacer de nouveau.

Quand la sonnerie retentit, je ne crains plus l’oubli. Ce sentier, je le connais maintenant, et me sens prêt à le retrouver dès qu’un moment paisible m’en laissera le loisir. Confiant, je relève les paupières, laisse un instant la lumière silencieuse m’envahir, et avec elle la conscience aiguë des tâches à accomplir jusqu’à la prochaine pause, aux prochaines « cinq minutes »

Cinq minutes

Par Olivier

Ce 25 mars 2021, Grandissons a proposé son premier atelier Ecrivons. L’objectif ? s’amuser et laisser échapper toutes les pensées qui nous tournent dans la tête. Sur un thème lancé, chacun rédige son texte. Puis ceux qui le souhaitent lisent leur production, dans le plaisir du partage. Grandissons aura le plaisir pendant les prochains jours de pouvoir vous proposer certains des textes ainsi recueillis.

Premier thème : « Cinq minutes ».

J’ai un quart d’heure pour penser à tout ce qu’on peut faire en cinq minutes. C’est parfait, je me glisse dans la peau de mes enfants pour qui « vite », ça veut dire « tranquille » et « plus que cinq minutes de Switch », ça veut dire un quart d’heure justement (voir plus). Les vaches… Des fois, c’est à mon avantage. « Tu vas voir, le mauvais goût du médicament, ça reste à peine cinq minutes dans la bouche ». Bim ! Un quart d’heure plus tard, c’est encore tout amer. Ou alors « ne vous inquiétez pas, je bois un café sur la place et j’arrive dans cinq minutes ». Un quart d’heure plus tard « Allo Papa, t’es où ? On s’inquiète ! ». « Oui bon, tranquille quoi, on n’est pas aux pièces… ». Cinq minutes, ça veut dire parfois trente-sept secondes, ou trois minutes vingt-deux, ou six minutes quarante-sept. Ça veut tout et rien dire quoi. On pourrait dire « deux secondes » à la place, ça serait plus pratique. « Papa, tu restes encore cinq minutes pour l’histoire ? ». Et hop, deux secondes plus tard, me voilà peinard pour ma soirée.

Un petit miracle de Mozart

Par Lise

En attendant bébée, j’ai beaucoup joué de violon. Surtout en musique de chambre. Et plusieurs fois le quintette avec clarinette de Mozart, que j’affectionne particulièrement.

Juste un peu avant de quitter la maternité après sa naissance, je me souviens avoir attendu un moment seule dans ma chambre. Bébée dormait, je me sentais fatiguée et m’ennuyais un peu. J’ai écouté les quintettes de Mozart que j’avais sur mon téléphone. Cela a sur nous un effet incroyablement bénéfique, exit ennui, stress… Le temps passe soudain un peu plus vite et un peu plus délicatement, comme dans une petite bulle musicale, une caresse sonore.

Peu de jours plus tard, nous étions à la maison, bébée pleurait, et je ne trouvais pas comment l’apaiser. Ni comment m’apaiser moi-même, d’ailleurs. Oui, une petite parenthèse, voilà ce qu’il me fallait. Sans réfléchir davantage, je me suis allongée à côté de ma toute-petite-hurlante, et j’ai lancé un enregistrement du quintette de Mozart, me concentrant sur la musique, avec pour seule idée de me reposer un instant l’esprit. Et là… en quelques secondes, bébée s’est calmée. Ses cris se sont transformés en hoquets, puis en silence. Elle écoutait, oui, vraiment. Et elle a écouté ainsi, les yeux grands ouverts, pendant de longues minutes, et moi je la regardais, et l’instant était magique, oui, rien de moins. (1)

J’ai par la suite bien souvent rappelé à l’aide Mozart et son petit miracle, qui fonctionnait (presque) à chaque fois que tout le reste avait été tenté en vain. (2)

A presque 2 ans, bébée s’endormait encore en l’écoutant systématiquement le soir. Quelques secondes seulement pour qu’il tarisse ses larmes et la blottisse dans les bras de Morphée (ou pas, finalement, je n’en sais rien, puisque je quittais alors la chambre discrètement, sans savoir si vraiment elle dormait ou si elle écoutait encore et encore…) Même lors de longs trajets en voiture sans lecteur cd ni mp3, il nous est arrivé, à son papa et moi, de chanter à deux voix et à tue-tête des extraits pour apaiser bébée lassée de rouler et l’exprimant elle aussi à tue-tête !

La conclusion ? A 3 ans, ça ne marche plus ! Elle s’endort toujours en écoutant de la musique, mais il lui faut des paroles, et cela va faire 6 mois qu’elle écoute en boucle Bella Ciao et autres musiques populaires italiennes qui, personnellement, m’apaisent beaucoup moins !…

Et à 8 ans… elle est toujours prodigieusement apaisée par la musique, et la demande souvent pour s’endormir, revenue avec bonheur aux œuvres symphoniques et de musique de chambre. Mais elle ne veut plus entendre parler des quintettes de Mozart, à croire qu’on peut en faire une overdose.

(1) Nous avons utilisé tous les quintettes de Mozart. Il s’agit ici du Quintette pour cor, violon, 2 altos et violoncelle KV 407.
(2) La vidéo ici a été prise à titre de démonstration. Loin de moi l’idée de vouloir un instant laisser entendre que l’on devrait laisser bébé pleurer, ni substituer aux caresses et au contact humain l’usage d’un appareil électronique J D’ailleurs, tout cela est encore bien plus agréable complété de gros câlins.

Les vœux de Grandissons pour 2021

Par Lise

Chers parents, chères familles, chers enfants,

Voici que s’achève une année remplie de surprises à un point que nul n’aurait souhaité, une année faite de bousculades, de déséquilibres, de craintes, de clôtures, de chamboulements…

Certains ont réussi à y trouver des côtés positifs, se sont découvert de nouvelles ressources, d’autres sont atterrés par des moments ou situations difficiles, ou ont vécu des drames… Beaucoup de choses impensables il y a moins d’un an se sont produites… Difficile de trouver sa position entre l’immense masse d’impuissance et d’incompréhension générale, et les certitudes et jugements qui surnagent sur cette mer insondable. Les disparités de situations et de ressentis clivent les passants dans des divisions immenses et acérées. A cela s’ajoute l’inquiétude du monde qui se présente à nos enfants, de ce qui leur est imposé, et se pose la question de les en préserver au mieux, à court et à long terme… alors même qu’aucune situation depuis que nous sommes adultes ne nous avait jamais à ce point replacés dans la position d’impuissance et d’incompréhension qu’est souvent celle des enfants…

Alors aujourd’hui, Grandissons a envie :

De vous souhaiter une meilleure année 2021 ! Qu’elle soit emplie de surprises qu’on n’aurait même pas imaginées, mais alors de belles surprises, de grandes, de formidables découvertes, de rêves si beaux et si doux qu’en les caressant on les rende réels, d’explosions de joies pour de petites beautés, de profusions de beautés si minuscules qu’on aura dû s’arrêter un instant pour bien les observer, d’observations minutieuses de tout ce que la vie contient de merveilleux et qu’on avait peut-être oublié, de temps pour tout cela, de temps pour tout, de temps à vivre.

Nous vous souhaitons de réussir à cueillir à la pointe d’un arc-en-ciel un nuage de patience, de trouver sous la terre une perle d’empathie, de ravir à la lune une proximité intense avec vos proches, et aussi de la gravir, la lune. Nous vous souhaitons de grandir à la lumière du sourire de vos proches, nous vous souhaitons de briller à la lueur de la vie. Nous vous souhaitons de guérir des douleurs d’aujourd’hui, et de pouvoir doucement lécher vos cicatrices une larme à la main, la main de vos aimés dans l’autre.

Nous nous souhaitons que les distances soient remplacées par des pas en avant ;

Que les gestes barrières s’ouvrent en mains tendues et en coudes serrés ;

Que l’on ne confine plus à rien d’autre qu’à la paix ou à la liberté, au pire au ridicule, pour se marrer un peu ;

Que l’on n’isole plus rien d’autre que les toits de vos maisons ;

Que bas les masques, à moins qu’ils ne servent au théâtre ;

Et surtout que le mot «positif» reprenne un sens qui le soit.

Chers parents, chères familles, chers enfants,

Nous vous souhaitons à chacun de trouver tout le soutient dont il pourrait avoir besoin à tout moment… Nous vous souhaitons d’être réunis, et nous nous le souhaitons à nous aussi !

La naissance de Soline par son papa, Olivier

par Olivier


Je suis à mon bureau. Mon téléphone est devant moi et sonne. C’est Clo qui m’annonce qu’elle a des contractions plutôt irrégulières, mais fréquentes depuis quelques minutes et que cela ne passe pas malgré le fait qu’elle soit allongée.
Depuis ces derniers jours, les alertes de ce type sont régulières et finissent par passer.
Je descends et en voyant le visage de Clo, je sais. Je sais que ce sera pour cette nuit. J’en suis sûr, je connais ce visage. Je l’ai déjà vu. Je ne suis pas sûr qu’elle le sache encore et je la laisse me dire son avis, ses ressentis. Pas d’utérus…pas d’avis. Il est 22h40-45.
Clo va prendre une douche et je l’entends, à chaque contraction. Je regarde l’heure. Le temps est comprimé, compressé. On était à environ 7 min d’intervalle dans le lit, on arrive à 5 en arrivant dans la douche… il ne s’est pourtant écoulé que quelques minutes. Soit la maison est vraiment grande…soit… Clo marche vraiment lentement… les deux ?
C’est vrai que nous avons fait des travaux. Une belle extension, une chambre pour chacun des enfants… en tous ças sur les plans. C’est qu’elle est grande cette maison maintenant, la chambre est devenue « loin » de la salle de bains. Et puis, une fois les plans signés, le garage abattu, les fondations et la dalle coulées, la maçonnerie faite, nous apprenons qu’il nous manquera finalement 12-15 m2… une chambre quoi. Mais revenons au 12 mars 22h55.
Avant que Clo n’aille dans sa douche, je vais allumer le petit poêle pour qu’elle ait plus chaud dans la salle de bains, allumer la lampe de sel prêtée par Leslie pour la lumière douce et tamisée…
J’envoie un SMS à Cindy, notre amie la plus proche de la maison et d’astreinte pour garder le reste de la descendance : « Tiens-toi prête, je pense que c’est pour ce soir. Je te redis. ». Dans la foulée, j’appelle S., la sage-femme qui nous a suivi durant toute la grossesse avec M.    S. a une 1h30 de route et vu la vitesse de rapprochement des contractions, je sais que S. ne sera pas là pour l’arrivée de la puce. C’est pas grave, on l’avait, anticipé…prévu… et Clo l’a tellement souhaité. Ça va le faire…

Dix minutes après mon SMS, je rappelle Cindy pour confirmer, oui, il faut que tu viennes !

Depuis 10 min, je navigue à vue : Clo à une contraction, je la rejoins dans la salle de bains. Elle est sous sa douche, cambrée, je lis la douleur sur son visage, accrochée aux poignées de la porte… (pourvue qu’elles ne cassent pas ses poignées, on serait bien emmerdés -> Oui parfois la pensée joue des tours, mais c’est pas le moment de le dire… pas sûr qu’elle apprécie ma remarque pleine de pragmatisme pourtant) Il fait chaud, humide et presque noir pour moi qui viens de pièces éclairées… j’ai l’impression de rentrer dans un hammam. La contraction est passée, je file chercher la caisse avec toutes les affaires prévues pour l’accouchement, le matelas… une nouvelle contraction (déjà !!!). Je retourne dans la salle de bains. Whaou, il fait chaud, tellement chaud ici. Le chauffage marche tellement bien dans ce petit espace…(et toujours ces poignées de porte de douche, non parce que ça a l’air fragile quand même tout ça…surtout qu’elle a de la force dans ces moments là…). Le choc thermique entre chaque pièce est énorme. J’ai l’impression d’être partout et nulle part, de passer d’une action à une autre. Je sais ce que j’ai à faire, à préparer, mais ces contractions sont tellement proches. Je suis partagé entre l’envie de tout préparer pour que Clo soit dans les meilleures conditions, l’envie d’être avec elle lors des contractions pour la soutenir (y paraît que je sers à ça dans ces cas là…moi j’ai juste l’impression d’être inutile, de la regarder avoir mal, sans rien pouvoir faire…). Ha mes pensées !

Cindy arrive, on se fait un rapide briefing de la situation et je la mène vers son « poste de veille ». Nous échangeons rapidement parce que Clo à une nouvelle contraction (ouf, elle s’est tournée dans la douche ! – les poignées sont sauvées…). Elle gère, je la sens « bien ». Elle ne me semble pas submergée par la douleur et accompagne vraiment bien ces contractions, les montées, les descentes. Elle respire bien et à l’air de profiter des pauses… ha oui !!! Merde ! Attiser le feu de cheminée, parce que la température de la salle de bain est vraiment bien différente du salon… Même devant la cheminée. Mettre les vieux draps en guise d’alèse, préparer le duvet, les serviettes…Une nouvelle contraction !

De 5 minutes d’intervalle en début de douche, nous voici à 3, 1 minute en sortie de douche. Il doit être au alentour de 23h20-30… je ne sais plus trop en fait. Je ne chronomètre plus les contractions depuis longtemps maintenant. Clo est sortie tant bien que mal de la douche, postée en appui sur le bac à linge, ça contracte fort… Mes pensées disent: non ! Pas ici, pas dans la salle de bains…. Oui, je sais que M. et S. trouvaient l’endroit « adapté » pour l’accouchement : pièce petite, chaude, bien cocon… position debout (bah parce que c’est le plus fréquent d’accoucher debout à la maison…) la pièce semble sympa pour un accouchement à domicile… sinon la chambre (mais Clo ne veut pas pour ne pas risquer de tâcher le cisal – moi c’est les poignées de douche… elle le cisal de la chambre… chacun son truc)…

Mais NON ! Je ne veux pas ici, je n’aime pas trop cette pièce, en tout cas pas au point de vouloir voir ma fille naître ici. Mais Clo, sa position, le rythme des contractions me laisse penser que ça peut se faire ici…et maintenant. « Elle descend ! » Non, pas ici !

J’arrive à l’entraîner dans le salon. Tout est prêt, même la bougie est allumée… Pfff, j’ai mis 35-40 minutes pour installer 3 conneries… mais qu’est-ce que j’ai foutu en fait !!!

Clo arrive dans le salon. Ouf ! C’est le plan, l’image prévue depuis le début de la préparation… accoucher devant la cheminée allumée seulement éclairé par une bougie…
On y est ! Maintenant c’est quand tu veux !

Je suis assis sur le canapé. Posé. Le répit est très court. Clo veut se poser avec moi, mais ne parvient qu’à rester à accroupi devant la table basse. Une contraction.
Ok, ce sera là… là, dans cette position qu’elle accouchera… Dans combien de temps ?

En quelques secondes, je revois, repense à la genèse de ce projet, aux discussions avec M. et S. lors la préparation. Le vortex de la naissance. Pour le moment, j’ai surtout l’impression que Clo stagne dans un état du vortex et ne monte pas. Elle n’est pas « partie », loin, sans moi, vers sa destinée de femme qui met au monde un enfant. Je la sens avec moi, bien présente. Elle gère, encore et comme toujours la douleur. Je suis impressionné. Impressionné par ma femme, ce qu’elle est capable de faire lors des accouchements. Impressionné par ce qu’on est en train de faire. On va accoucher ici, c’est sûr ! On va accoucher à la maison ! Seuls ! Truc de ouf !
Quelle aventure un AAD. Je me rappelle la première fois que Clo m’en a parlé. Elle était enceinte de Liam.
Nous sommes dans le salon, elle regarde un groupe Facebook sur l’AAD. Je vois sa fascination, son envie…ses yeux… et ma peur. Dans ma tête, c’est juste l’horreur : Accoucher à la maison ! A quoi sert 200 ans de sciences et de progrès médicaux pour aller risquer un accouchement à la maison !!! Oui mes premières pensées ne sont jamais vraiment fun en fait… j’me rends bien compte !
Mais j’écoute Clo, elle me raconte, m’explique et me fais rire. Elle s’emballe dans ses explications, les vit… j’aime tellement la voir dans ces moments, je n’écoute plus en fait, je vibre, je contemple et je finis par dire oui. Je finirais de toute façon par dire oui. Je le sais déjà. Quand elle est enflammée comme cela, elle est irrésistible… de quoi parle-t-elle au fait… Accoucher à la maison… ouioui… euh nonnon ! C’était il y a près de trois ans. Les circonstances avaient fait que cela avait été impossible à faire pour Liam.
Mais là… plus d’excuse. Clo me reparle très vite de ce projet, son projet. Je l’accepte sans contrainte même si je reste sur la réserve. J’ai toujours un peu peur quand même mais je la sens tellement sûre d’elle… et puis il y a Sophie et Marie. Les peurs sont surtout dûes à mon conditionnement, mon ignorance. Clo le sait et me connais trop bien donc elle me guide et me rassure. Et puis je lis, sur la physiologie de l’accouchement, sur comment ça se passe dans des pays où le système de santé est moins performant qu’ici. J’intellectualise et me rassure et puis il y a S. et M. Avec elles, ça a l’air tellement simple, et tellement normal d’accoucher… et puis Clo est tellement bonne accoucheuse ! Ça devient tellement naturel en fait. Elles me rassurent toutes les trois. Au fil des semaines, Clo me partage son rêve…que l’on accouche tous les deux, seuls et que S. ou M. arrive après coup. Bizarrement, ça ne me fait pas peur, je m’en doutais…et puis je trouve ça cool comme naissance pour notre dernier enfant.

23h40-42. Clo est accroupie devant la table basse… elle n’a pas réussi à se lever. Les contractions s’enchaînent plus rapidement 1, 2, 3… s’il y a une minutes entre chaque, ce sont de toutes petites minutes. Je lui propose de pendre ses bras autour de mon cou pour relever son buste. Par le passé, cela l’avait soulagée… Trop douloureux ! Il faut plutôt se remettre les mains sur la table.

« Elle est là !!! Je sens sa tête !!! ».

Ses mots sont teintés d’excitation, d’assurance et de terreur…mélange particulier.

Nouveau flashback dans ma tête: « si sa tête arrive, tu poses ta main, et tu ne fais RIEN ! Tu l’accompagnes et tu fais en sorte qu’elle ne tombe pas »… facile à dire… t’as vu la position !

Rapide coup d’oeil, je vois ta tête et une main… Je pose ma main sur ta tête, c’est particulier, chaud, humide, un peu poisseux. Je sens tes cheveux…Ma main est tellement plus grande que la circonférence de ton crâne… La dernière contraction arrive. Je te sens arriver, doucement, facilement et dans mon esprit, sans bruit. Maman est à quatre pattes…en fait non, elle tient en équilibre, un genou au sol, une main sur la table l’autre sur moi…une jambe en l’air… je pense qu’à voir cela doit être drôle. Moi j’ai toujours ma main sur ta tête.
Doucement, je te sens arriver et je parviens à prendre ton épaule.
Je ne comprends toujours pas comment, mais entre la position de maman, la mienne, ta venue…un ballet tellement naturel se met en place, un seul mouvement, harmonieux se dessine… nous allons pivoter, maman se redresse pour finir assise, j’étais sur son côté et je finirais face à elle, et toi… Dans les bras … de maman.
Tu es sonnée…tu nous fixes…tu cries. Une fois. Tu as l’air d’aller bien. Il est 23h45.

Tes yeux noirs nous fixent… je connais ce regard, tes frères et ta sœur avaient le même. Intense, fragile, perçant, tu sembles lire en nous, mettre enfin des images sur ces voix que tu as entendu depuis plusieurs mois.
Tu es au chaud avec maman.
J’appelle S. pour lui annoncer ta naissance. Plus besoin de se presser ou quoi que ce soit… elle sera là dans 1h environ de toute façon.

Mahé a entendu maman et il descend. Tu as juste 2 minutes lorsque tu le rencontres pour la première fois. C’est beau ! Il est doux avec toi, comme toujours.

Je suis anesthésié en fait. Je ne sais plus ce qui se passe durant plusieurs heures ensuite, ce que je ressens. Comme pour toutes les autres naissances, mon premier ressenti a été du soulagement. C’est fait ! Tu es là et tu as l’air en forme. J’entends et sens ta respiration. Je sens ton odeur qui est bien la même pour tous mes bébés. Quel réconfort !!! Et puis très vite je ressens ta grande fragilité, et ma responsabilité à ton égard. Te faire grandir, te proposer les meilleures conditions pour que tout ton potentiel puisse s’exprimer un jour.

Et l’amour…? Ça fait plusieurs mois que je t’aime, que je suis inquiet pour toi, que tu fais partie de moi. Avant même de naître tu es déjà ma fille, mon 5e enfant. Tu as déjà y’a de la place dans notre famille, tu es déjà attendue. Alors que l’on ne se connaît pas, dès ce premier regard je te reconnais pourtant.

Dans ce moment, je ne perçois pas ce qu’on vient de faire… tu es née à la maison, dans notre maison… je suis le premier qui ai posé sa main sur toi, ton premier contact avec le monde, c’est moi. Voilà 1 mois que tu es née et je réalise seulement que c’est rare, exceptionnel ce qu’on a fait avec maman. Je ne ressens pas de fierté particulière pour cela, sauf que l’on a fait ce que l’on souhaitait et c’est sympa. Tu as pu rencontrer Éléa et Mahé un peu plus tard dans la nuit et Loïs et Liam le lendemain matin. À chaque fois, cela a été très sympa de les voir t’observer avec tendresse et délicatesse.

Je suis aujourd’hui un papa comblé d’enfants. Jamais je n’avais imaginé en avoir autant et j’en suis très heureux. Vous êtes chacun unique et en même temps un tout. Je vous aime.




Les vœux de Grandissons (pour 2020)

Par Lise

Peu avant l’orée de cette nouvelle année, Grandissons a fêté ses six ans. Six années riches et bien remplies au sein desquelles ont grandi trois choses :
 
L’association Grandissons : nos offres de rencontres, nos ateliers, nos rendez-vous, nos lieux de présence, notre audience ont augmenté. Nos compétences et nos connaissances aussi. Le nombre de bébés, d’enfants, de parents, qui ont croisé le chemin de Grandissons n’a fait que croître.
 
Notre compétence en tant que parents : désormais, nous avons expérimenté ce qu’est un bébé, mais aussi un bambin, un enfant, un plus grand enfant, une fratrie… et puis nous avons commis plein d’erreurs, cherché, avec ou sans succès, plein de manières de les réparer ou de ne pas les reproduire, avons été débordées, puis sereines, puis dépassées, puis fières de nos enfants, puis perdues, puis hors de nous, puis tendres, puis… Puis nous nous en sommes voulu, nous sommes excusées, avons fait mieux la prochaine fois ou seulement celle d’après… Bref, aux côtés de nos enfants, nous nous sommes modelées en tant que parents, et avons découvert au jour le jour les difficultés et les joies de grandir auprès de petits êtres qui mûrissent et se réalisent.
 
Notre ouverture vers les autres parents : un jour, une personne qui avait fréquenté Grandissons a souhaité quitter l’association, car elle, qui avait plusieurs plus grands enfants, ne réussissait pas à se sentir comprise parmi nous, alors jeunes mamans d’uniques petites filles. Eh oui, si nous avons toujours fait de notre mieux pour que Grandissons soit ouverte à tous et que nul ne s’en sente jamais exclu, si nous nous sommes toujours efforcées de ne pas apporter de jugements ou de conseils… nous avons démarré tout cela en étant dans l’imaginaire. C’est comme toutes les choses très fortes (avoir un bébé, faire un saut en parapente, avoir plusieurs enfants, perdre le moral, toucher la neige pour la première fois, voir son enfant quitter la maison, grandir avec un enfant,…), on ne peut pas les comprendre vraiment avant de les avoir vécues. Des choses que nous n’avons pas expérimentées, il en reste immensément, mais vous, parents qui entrez dans le cœur de l’association, que ce soit en la traversant une fois pour voir, en assistant à nos rencontres régulières, ou en donnant de votre temps pour Grandissons, vous apportez par palettes, au fil des années, toute la gamme qui fait que Grandissons grandit de tout ce qui est lié au parentage et à l’enfance, avec ses miracles et ses imperfections, et que la porte de cette association est de plus en plus largement ouverte. Nous espérons que tous ceux qui ont besoin d’un sourire, d’un coup de pouce, d’une conversation, ou de s’épancher dans un abri où personne jamais ne les jugera, le sentent.
 
Alors voici ce que nous vous souhaitons : de grandir aussi sereinement que possible, dans les moments magnifiques comme dans les difficiles, de réussir à accepter vos imperfections et celles des autres, de parvenir à rechercher du soutien pour vous et d’en offrir aux autres, de vous approcher le plus près possible du parent que vous auriez aimé être sans pour autant mépriser la part de vous qui s’en éloigne, de capter le plus possible de souvenirs précieux, miettes de chacun des âges que votre enfant aura traversés, qui vous accompagneront dans toutes les années suivantes, de vous remplir de tendresse et de déborder parfois d’amour,… et d’être un parent heureux (au moins la plupart du temps) !

Rétrospective : le premier Festival de Grandissons

Par Lise

Le 23 novembre 2019 à l’Espace Centre de Cagnes-sur-Mer, a eu lieu le premier Festival de Grandissons. Depuis des mois, l’équipe de bénévoles de l’association travaillait à sa préparation, et plusieurs professionnels et associations avaient prévu de mettre leurs compétences, matériel et ateliers au service de ce Festival. Malheureusement, le 23 novembre, dans le 06, il pleuvait, il pleuvait à en devenir alerte orange, puis vigilance rouge. Mais vous savez quoi, jusqu’à-ce que le dispositif ORSEC soit déclenché, que nous soyons évacués, et que certains d’entre nous doivent se faire loger sur place, eh ! bien, Grandissons et ses collaborateurs ont quand même tenu ce Festival, qui, malgré le peu de public que ces aventures ont permis de nous rejoindre, s’est révélé une belle réussite et un magnifique moment. Voici donc quelques photos, afin qu’au prochain Festival, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, vous ayez envie de nous rejoindre !

Un magnifique programme en trois salles s’est déroulé sur la journée :

Dans la grande salle de l’Espace Centre, une buvette proposait thés, cafés et boissons de toutes sortes, ainsi que des gâteaux maison, et un bel assortiment de viennoiseries offert par la boulangerie Aux Enfants Gâtées. La salle était magnifiquement décorée par les intervenants et les bénévoles de Grandissons, arborait une exposition de Vanessa Damay, les petits portraits contois des enfants des écoles de la ville de Contes et plein d’autres merveilles.

Grandissons y exposait aussi un grand nombre de livres de sa bibliothèque de prêt, et ses bénévoles se tenaient à disposition pour échanger avec ceux qui l’auraient souhaité.

Toute la matinée, l’association CLEA et trois de ses bénévoles y ont tenu un très joli stand, proposant un atelier sensoriel, une petite exposition sur les cinq sens, et la possibilité de dessiner pour les enfants et de jouer un moment.

Des ateliers et tables rondes s’y sont succédé :

Un Papotons sur tous les thèmes liés à la parentalité, animé par Kristel Brun, Faten Gharbi, Alexandra Baciu et Frédérique Millot, a regroupé en cercle une dizaine de parents d’enfants de tous âges, désireux d’échanger sur les problématiques et les questionnements de leur quotidien dans une ambiance chaleureuse et ouverte.

La table ronde sur l’écoparentage a dû être annulée faute de participants, mais ce n’est que partie remise, et nous trouverons d’autres occasions pour réfléchir avec Diane Pico sur les pistes pour grandir dans le respect avec bébé en limitant notre impact environnemental.

Un groupe s’est réuni pour parler des signes avec bébé, et, par extension, de la langue des signes, autour de Floriane Zitouni, doula (entre autres), qui a également proposé durant la journée un stand pour présenter son association Maternaître.

Un Papapotons (oui, vous avez bien lu !) a regroupé quatre pères, une première, que les participants ont appréciée, pour échanger sur des questions ciblées sur la paternité, telles que la charge mentale, la place du père dans la famille, la violence dans l’éducation et les pistes pour en sortir ensemble…

Deux conférences sont venues s’intercaler :

La parentalité ludique (Tu serais un dragon… communiquons par le jeu) a été présentée par Lise Rebattu, qui s’appuyait sur le livre de Laurence Cohen (Qui veut jouer avec moi) et présentait des exemples concrets sur la manière dont l’invitation au jeu dans le quotidien de la famille peut rendre ce dernier plus facile, plus léger, et prendre une pleine part à l’éducation, sans nier les difficultés auxquelles se heurtent sans cesse les parents qui souhaitent tendre vers les habitudes ludiques. Peut-être un défi à transformer en routine ?

– Vicky Brougiannaki, coach parentale, est venue parler de l’adolescence (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’adolescence… sans oser le demander). Elle a choisi de mettre l’accent sur les transformations que subit la relation entre les parents et les adolescents, plus que sur les différents processus de transformation à l’œuvre pendant l’adolescence, tels que la puberté et l’élagage neuronal. Plus le besoin d’autonomie de l’adolescent grandit plus nous avons tendance à vouloir le contrôler, nous fait-elle remarquer. Pour mieux traverser cette période, il est important de casser le cercle vicieux du contrôle et de la rébellion, d’accepter que la relation change et que l’ado est en train d’acquérir des compétences utiles à son autonomisation tout en testant toujours sa base de sécurité. Dans l’idée de laisser la place et la parole aux adolescents, Thomas – 13 ans et Ema – 17 ans sont invités à partager la « scène » en livrant leur propre expérience de l’adolescence et des rapports parfois compliqués avec le monde adulte. 

– Laurent Blin, qui devait venir présenter sa conférence gesticulée (Papa n’aime pas courir après les crabes) a malheureusement été bloqué par les graves intempéries… Nous espérons que ce n’est que partie remise.

Pendant ce temps, au détour d’un couloir, dans une petite salle de l’Espace Centre, une petite dizaine d’enfants se sont retrouvés pour prendre un petit moment hors du tumulte du monde pour s’interroger et essayer de réfléchir ensemble, au cours de deux ateliers philo animés par Astrid André. Tous assis en cercle, chacun s’est présenté brièvement avant de démarrer une petite « pratique de l’attention », les yeux fermés pour ceux qui le pouvaient, chacun essayant de se concentrer sur sa propre respiration, de s’écouter et de ressentir ce qui se passe à l’intérieur, de prendre conscience de son corps et de sa position dans l’espace, de se libérer d’éventuelles tensions. Ce petit temps à l’écoute de soi permet à tous d’être plus disponibles et attentifs lors des échanges en groupe, d’être plus présents. Il existe des possibilités infinies pour lancer une discussion à caractère philosophique, pour cette fois le thème a été choisi au préalable, l’accueil qui lui est réservé par les enfants reste toujours une surprise. Le matin, le thème du cadeau ainsi que Totophe le lapin qui voulait être philosophe ont fait l’unanimité auprès des petits, qui ont vite oublié leurs appréhensions ou timidité et partagé allègrement leurs réflexions éclairées. L’après midi, le thème et l’atelier ont eu bien plus de succès que le goûter proposé aux plus grands. Ils n’ont pas vu le temps passer et ont devons s’arrêter pour laisser place à la musique, avec l’idée que ce serait vraiment chouette de se retrouver pour recommencer…très bientôt ??!!!

– Dans cette même salle, Olivier Ciais a animé pour une quinzaine d’enfant d’âges très variés un atelier autour de la musique (Move !) Lovés au sol, les enfants ont été amenés à évoluer peu à peu sur un fond de musique, à l’instar de la Vie : nageant, découvrant la respiration aérienne, puis rampant, à quatre pattes, courbés, se découvrant les uns les autres, puis debout… dansant et interagissant. Ils ont ensuite chanté avec la guitare de ce merveilleux animateur, puis produit à leur tour des sons sur le hang et sur la guitare. Ce fut un atelier gai et entraînant, plein d’énergie pour tout le monde.

Enfin, dans la grande salle de la Maison des Associations, que nous pouvions rejoindre en bravant la pluie par petits groupes allant et venant, convois d’enfants mouillés et riant, Marine et Marianne, de l’association Ressource Parentalité 06 avaient installé un magnifique parcours de motricité coloré, composé de tapis, de modules, de poutres et de plots, ainsi qu’un espace jeux de société.

– A plusieurs moments de la journée, Marie Zamit et Lise y ont proposé de petits ateliers Lisons, proposant aux enfants de nombreux livres, les racontant aux plus jeunes… et trouvant parmi les plus âgés de nombreux volontaires pour animer eux-mêmes la lecture à tour de rôle .

– Faten Gharbi y a animé un atelier portage, proposant d’essayer de nouveaux modes de portage (sling, écharpe, et différents préformés) et de nouveaux nouages.

La journée s’est achevée sur un atelier ECHO de découverte d’une langue portant sur la Roumanie et sa langue, animé par Alexandra Baciu. Les participants s’en sont donné à cœur joie dans des rondes, des jeux, des chansons, ils ont appris quelques mots, et entendu de passionnants récits et souvenirs sur la Roumanie… juste avant que nous ne soyons évacués à cause du plan ORSEC ! Peut-être le premier ECHO d’une nouvelle série à Cagnes ?

Peu de fréquentation, donc, pour ce premier Festival, mais de magnifiques et variées animations, et de sensationnels animateurs et exposants… De quoi nous donner envie de recommencer un jour en espérant un public nombreux !

Lettre ouverte à mon pédiatre

Par Kristel

Docteur,

Vous avez suivi ma fille de longues années. Elle a maintenant 12 ans et est en pleine forme.

Vous avez aussi quelques fois reçu son petit frère, qui a maintenant 5 ans.

Je pense que vous êtes un bon médecin, vous savez vous y prendre avec les enfants, vous êtes disponible.

En revanche, j’ai cessé de venir vous consulter pour mes enfants car je me suis rendue compte assez rapidement après la naissance de mon fils, que votre point de vue sur certains aspects de l’enfance dépassait le cadre médical pour empiéter sur le cadre familial et ne correspondait pas (ou plus) à ma vision des choses.

Je n’avais pas réalisé cela avant. Et à mon grand regret tardif, je vous ai écouté en tous points pour ma fille. Essentiellement sur les sujets de l’alimentation et du sommeil (dont vous êtes un spécialiste pourtant).

Il n’y a aucune colère dans ce courrier, juste un besoin de vous faire connaitre mon ressenti et vous présenter un autre point de vue possible.

Je n’espère même pas que vous remettiez en cause vos idées. Par contre j’ose espérer que vous puissiez, d’une manière ou d’une autre, expliquer aux parents que, concernant l’éducation à proprement parler, il existe d’autres idées que les vôtres, qui ne sont que vos propres opinions et non pas des vérités scientifiques [que votre travail est la médecine, pas l’éducation].

D’abord, rapidement, à propos de l’alimentation, puisque c’est le point le moins douloureux pour moi.

En suivant vos recommandations sur l’allaitement maternel, j’ai « alimenté » ma fille au sein pendant 3 mois comme je l’aurais fait au biberon : toutes les 3h, 15 min un sein, 15 min l’autre sein. C’était calculé, mécanique et de fait un peu distant. Vous m’aviez même déconseillé d’allaiter au lit, par exemple, arguant du fait que nous, adultes, nous ne mangeons pas au lit, n’est-ce pas ?

Bref, allaiter n’était plus un plaisir profond, même si au départ ça avait été une évidence pour moi. J’ai fini par sevrer ma fille, entre 3 et 4 mois, sans difficulté d’ailleurs.

Par contraste, avec de toutes autres informations, j’ai allaité mon 2ème enfant durant 4,5 ans, sans y penser vraiment, sans aucune contrainte, dans tous les lieux et toutes les positions possibles. Ce n’était pas délibéré, ça s’est fait comme ça, au fil de l’eau (ou du lait, en l’occurrence).

Et rendez-vous compte, il mange quand même ! Ni mieux ni plus mal que sa sœur, ni plus, ni moins. Il est en plein forme lui aussi. Il sait s’assoir à table et faire un repas social, il mange même à la cantine, c’est dire ! Pardonnez-moi cette pointe d’ironie, qui n’est là que pour souligner que je pense que vos recommandations sur la manière d’allaiter débordent largement le cadre médical. Peut-être avez-vous déjà revu votre point de vue depuis ce temps ?

Mais j’en arrive à cet autre sujet, qui m’a motivé à prendre le clavier après tant de temps : le sommeil de l’enfant !

Vous en êtes un spécialiste, j’ose donc espérer que vous vous intéresserez à ce qui va suivre.

Avant d’aller plus loin, sachez que je me sens terriblement fautive. Je ne me suis pas renseignée à l’époque. Je n’ai pas cherché d’autres avis. Je me demande si je n’avais pas perdu ma confiance en mes capacités d’être mère avec ma césarienne non désirée… Alors, face à un spécialiste en qui j’avais confiance, pourquoi chercher plus loin ?

Alors je vous ai écouté. J’ai mis ma fille dans un joli petit berceau, dans sa propre chambre. Elle n’avait que quelques semaines. Et pourtant elle n’était pas d’accord et nous le faisait savoir ! Mais je n’allais pas me laisser faire ? Je n’allais pas laisser ce petit être décider, n’est-ce pas ?

Alors j’ai tout bien fait comme vous me l’aviez expliqué : la célèbre méthode du 5-10-15 (laisser pleurer le bébé 5 minutes, aller le voir pour le rassurer, en évitant si possible de le prendre dans ses bras, le laisser de nouveau seul et s’il pleure encore attendre cette fois 10 minutes, puis si besoin recommencer l’opération en attentant 15 minutes).

Alors oui, ça a fonctionné. Ma fille a rapidement cessé de pleurer le soir pour s’endormir. Mais maintenant je sais que ce n’est pas du tout parce qu’elle avait compris qu’elle pouvait dormir seule en toute sécurité. Non. C’est juste qu’elle avait renoncé à attendre de moi, sa mère, ce pour quoi j’étais programmée : satisfaire son besoin de proximité, de contact, de sécurité…

Et pourtant j’aurais dû le comprendre ! J’ai tellement pleuré moi-même en regardant les minutes s’écouler lentement ! C’est tellement long 15 minutes ! A mon âge… Alors imaginez à quelques semaines de vie ! Ça me faisait tellement mal que j’aurais dû comprendre que c’était contre nature…

Que lui ai-je fait subir ? Et même sans considérer l’éventuel mal que je lui ai causé, de quels plaisirs me suis-je privés avec ma fille ? Je l’ai découvert bien plus tard avec mon deuxième enfant. Cododo, allaitement à la demande, endormissement au sein… quelle plénitude ai-je pu ressentir avec son petit corps tout chaud blotti contre moi pour s’endormir !

Bien sûr, toutes les mamans ne ressentent peut-être pas ce besoin. Peut-être que pour certaines, vos conseils seront les bienvenus. Mais pourquoi toutes nous priver (ou nous culpabiliser) de ces moments par vos recommandations qui n’ont aucun fondement scientifique ?

Pourquoi vous permettre d’asséner des conseils non demandés sous couvert de votre savoir médical ?

Et vous savez quoi ? je pense que mon fils est normal ! Il est sociable (pas avec tout le monde, il faut le reconnaître), il est scolarisé, dort seul, s’endort seul, dans sa propre chambre, chez ses grands-parents… incroyable, non ? Pour un enfant allaité 4,5 ans et qui a dormi avec ses parents jusqu’à ses 3 ans !

Voilà pourquoi je vous offre ce livre(1). Parce qu’il existe d’autres possibilités. Encore une fois, je ne dis pas que vous faites mal votre travail, je pense que vous êtes un bon médecin. Mais pour le reste, pour ce qui n’est pas pathologique, si vous voulez donner des conseils, pourquoi pas, s’ils sont demandés ? Mais même dans ce cas, je trouverais plus moral de dire aux jeunes parents qu’il n’y a pas qu’une manière de penser l’éducation, que cela dépasse le cadre de vos fonctions et qu’en cette matière vous n’êtes pas plus compétent que n’importe quel parent. Et que leurs idées, tant qu’elles ne mettent pas l’enfant en danger, ne valent pas moins que les vôtres.

Il m’a fallu un deuxième enfant pour comprendre tout ça. J’essaie de « rattraper » toute cette relation manquée avec ma fille, tous ces moments de pur bonheur que je me suis interdits parce que j’ai écouté vos conseils déguisés en recommandations médicales.

Quelques passages du livre « Serre-moi fort » de Carlos GONZALES que je trouve particulièrement inspirants, à lire en contexte pour en mesurer tout le sens :

p.22 « trop de familles ont sacrifié leur propre bonheur et celui de leurs enfants sur l’autel de quelques préjugés sans fondement »

p.13-14 « l’orientation d’un livre – ou d’un professionnel – est rarement explicite. La quatrième de couverture devrait dire clairement : « Ce livre part du présupposé que l’enfant a besoin de votre attention », ou bien : « Dans ce livre, nous partons du principe que les enfants nous font marcher à la première occasion. » Pédiatres et psychologues devraient expliquer la même chose à la première visite.

p.39 (après l’explication précédent cet extrait sur le comportement des mammifères) « il serait ridicule de chercher à expliquer à une lapine qu’elle se doit d’être une « bonne mère » et de passer davantage de temps avec ses petits, de même qu’il serait absurde de dire à une chèvre qu’elle ne devrait pas avoir son petit en permanence « accroché à ses jupes » sous prétexte que son petit a besoin de « devenir indépendant » et qu’elle-même « a aussi besoin de moments d’intimité en couple. » »

p.40 « Si les scientifiques découvraient un nouvel animal, jusqu’ici inconnu, et souhaitaient vérifier rapidement (sans nécessité de l’observer pendant des semaines durant) quelle est sa manière normale de prendre soin de ses petits, ils pourraient mener une expérience très simple : emmener la mère et laisser les petits seuls. Si ceux-ci restent calmes et silencieux, c’est que la norme de cette espèce est que les petits restent seuls. S’ils se mettent à crier comme si on les assassinait, c’est que la norme de cette espèce est que les petits ne soient pas séparés un seul instant de leur mère. Et votre enfant, comment réagit-il quand vous vous en allez ? A votre avis, quelle est la norme de notre espèce ? »

p.42 « Mais, quoique nous ayons appris, lu, vu, entendu, cru ou rejeté tout au long de notre vie, nos enfants naissent tous pareils. Ils naissent sans avoir vu, entendu, lu, cru ou rejeté quoi que ce soit. A leur naissance, leurs attentes ne sont pas marquées par l’évolution culturelle, mais par l’évolution naturelle, par leurs gènes. »

Voilà, cela fait longtemps que j’ai ce courrier en gestation, que j’hésite, que je repousse. Mais je me lance enfin, espérant vous montrer d’autres horizons et tentant modestement de faire avancer la cause des enfants et des parents.

Je vous souhaite une excellente lecture de ce merveilleux livre.

Cordialement,

  1. « Serre-moi fort », Carlos GONZALES

Le programme du Festival !

Le 23 novembre 2019, de 10h à 19h30, à l’Espace Centre, Cagnes-sur-Mer.

Plus d’infos et billetteries ici !

Petit gars

Naissance à la maison

Par Fabien

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