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Compte-rendu de la conférence de Carlos González sur l’autorité

Par Lise

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Après sa conférence sur l’alimentation de l’enfant, dont vous pourrez trouver le compte-rendu ici, le docteur Carlos González, invité par l’association Grandissons à Cagnes-sur-Mer a développé le thème de l’autorité et les limites.

Pour rappel, ce pédiatre espagnol est fondateur d’une association catalane d’allaitement maternel, partenaire de La Leche League et auteur de plusieurs livres, dont deux qui ont été traduits en français (Mon enfant ne mange pas, et Serre-moi fort).

Des limites ?

Il démarre sa présentation en montrant plusieurs affiches d’associations d’enfants handicapés, dont les textes exaltent la volonté de leur permettre de « vivre sans limites », se demandant  pourquoi les parents dont les enfants ne sont pas porteurs de handicap tiennent tant à  en imposer à ces derniers. Bien sûr, dit-il, il existe de nombreuse limites « normales », telles que ne pas boire de lessive, ne pas posséder de chameau à la maison… toutes ces choses que chacun sait sans livre, qui ne sont pas des limites artificielles. Eh oui, le titre de la conférence était ambigu : ce dont parlera le docteur González, c’est des limites de l’autorité.

Des changements dans la manière de comprendre les enfants

Il cite ensuite deux exemples. Tout d’abord celui de Cajal, une célébrité espagnole, qui découvrit les neurones et leurs connections. A 11 ans, ce dernier brûla la porte du voisin avec un canon et de la poudre qu’il avait fabriqués. Son père médecin et le maire décidèrent de le mettre en prison pendant une semaine pour le punir. Le grand homme dit n’avoir retenu que les conséquences désagréables de ce qu’il continue à nommer sa « blague », et retiré la leçon d’être plus prudent lors de ses méfaits ultérieurs, continuant ses tirs au canon, mais dans la forêt. Le second est celui de Sainte Thérèse d’Avilla, qui, à l’âge de 7 ans, s’enfuit avec son jeune frère pour aller « chercher les martyrs dans la terre des infidèles » avant d’être retrouvée. Les textes d’alors mentionnent son courage, l’effort et la générosité dont elle fit preuve pour son âge, et non la désobéissance. Aujourd’hui, se demande le Docteur González, un garçon de 11 ans qui commettrait un tel « attentat » dans la ville sortirait-il à temps de prison pour entrer à l’université et obtenir un prix Nobel, à l’image de Cajal ? Dans le meilleur cas, ces enfants ne seraient-ils pas diagnostiqués comme hyperactifs et conduits vers la « normalité » via un traitement ? Ces quarante dernières années ont été marquées par un changement très net dans notre façon de comprendre les enfants.

S’il est vrai que la plupart des adultes ont un mode de vie semblable, nombre d’entre eux diffèrent : certains travaillent de nuit, d’autres dans des cirques ou des travaux acrobatiques… Pourtant, tous les enfants ont strictement le même quotidien, et fréquentent une école identique, les différences de personnalités et de besoins ne sont pas reconnues chez eux. Comme se conformer à ces exigences éducatives a dû être difficile pour les chasseurs de crocodiles ! Pour ces enfants-là, devenir adultes est vécu comme une libération.

L’autorité

Nous avons tous, poursuit le docteur González, de l’autorité, et ne pouvons pas y renoncer. Celle-ci est naturelle et automatique, il n’est pas nécessaire de la « mériter » parce qu’on serait plus intelligent, plus fort ou plus vieux.

L’autorité vient aux parents du fait que leurs enfants les aiment et ont un fort désir de leur obéir. Pourtant, comme l’affirme, paraît-il, la tante de Spiderman, « un grand pouvoir comporte de grandes responsabilités », et, malgré cela, on ne nous a jamais enseigné à avoir de l’autorité. Soudain, alors qu’on nous a toujours appris à obéir et seulement cela, on se retrouve, avec l’arrivée d’un enfant, aux commandes.

On peut alors rechercher des modèles sur lesquels s’appuyer. Dieu, par exemple, se contente de donner dix commandements, il n’a pas besoin de démultiplier les ordres. L’empereur ou le président non plus ne donnent pas de nombreux ordres et ne s’attachent pas aux détails. Seuls les parents assènent à leurs enfants des successions d’ordres (ne bouge pas sur ta chaise, ne mets pas tes doigts dans ton nez…), des reproches et des châtiments.

L’autorité serait pourtant comparable à l’argent. On peut faire beaucoup de choses avec, mais si on le dépense pour quantité de petites choses, on n’en a plus ensuite. Ainsi, l’autorité devrait être conservée pour les choses importantes (ne bois pas d’alcool lorsque tu conduis…).

Accepter les réactions à l’autorité

Pour en revenir aux empereurs, il semblerait que même Napoléon n’ait pas réussi à obtenir de ses grognards (ainsi nommés pour cause) qu’ils le suivent sans râler. Seuls les parents exigent cela de leurs enfants. En l’enjoignant d’éteindre la télévision au milieu de son programme, on attend qu’il nous remercie ? Acceptons au moins qu’il soit normal que l’enfant se sente fâché.

Flexibilité

Notre conférencier nous donne ensuite plusieurs pistes de réflexion, en comparant les situations à notre vécu d’adulte. Ainsi, les policiers donnent leurs ordres avec respect et professionnalisme. Prenons un exemple. Notre mari a besoin de Ventoline d’urgence et nous nous garons sur une place interdite pour aller à la pharmacie. Un policier intervient, expliquant qu’il est interdit de stationner à cet endroit, mais, suite à nos explications, répond « c’est bon pour cette fois, allez-y donc vite. » Pense-t-on alors aussitôt quelque chose comme « Il n’a vraiment aucune autorité, désormais je ferai tout ce que je veux ! », ou bien plutôt « heureusement que je suis tombée sur quelqu’un d’intelligent » ? Et si, au contraire, il refuse de nous écouter, un ordre étant un ordre ?… Alors, qu’attend-on d’un enfant que l’on vient de gronder et de punir ? Qu’il pense « Ah, merci pour les limites ! » ?

Formulation

En tant qu’animaux sociaux qui vivent en communauté, nous recevons et donnons tous des ordres et disposons tous d’autorité. Mais c’est aux ordres donnés de façon appropriée que nous obéissions. Au restaurant, par exemple, nous nous soumettons sans difficulté à « Asseyez-vous, je vous en prie, faites votre choix, donnez-moi votre manteau… ». Qu’en serait-il si nous entendions « Poussez-vous de là, asseyez-vous et dites-moi ce que vous voulez manger, allez, plus vite, je n’ai pas que ça à faire ! » ?

Ainsi, il est important de donner les ordres de façon appropriée aux enfants comme aux adultes. Par exemple : « Pourriez-vous finir votre jeu que nous puissions manger ? »

Collaboration de l’enfant

Carlos González présente ensuite une photographie sur laquelle posent un pédiatre, une mère et son enfant. Il décrit les personnages selon plusieurs niveaux de lecture : le pédiatre, qui est aussi en réalité un modèle, la mère, qui est aussi un modèle, et aussi une mère en vrai, et l’enfant, qui n’est rien d’autre qu’un enfant. Sur la photo comme en vrai, cet enfant regarde sa mère, il lance à sa mère un regard interrogatif pour savoir s’il doit laisser le médecin le toucher. Ainsi, jusqu’à 9 mois, si la mère manifeste de la peur, l’enfant l’imitera. On voit ainsi que l’enfant recherche l’approbation, et combien il est important pour lui d’obéir tant qu’il peut. Pour un enfant, il n’y a en effet rien de plus terrible qu’un parent en colère.

Pourtant, certains parents tendent à croire que les enfants sont de petits monstres, tyrans en herbe prêts à tout pour obtenir ce qu’ils veulent. En réalité, nous dit le docteur González, personne ne souhaite tellement obtenir l’autorité, qui n’est pas agréable, et les enfants non plus. On peut d’ailleurs noter que seules une vingtaine de personnes souhaitent une part d’autorité dans une ville, et moins d’une dizaine pour le pays. En effet, cela implique de prendre des décisions, de résoudre les problèmes, de se faire contrer… Et lorsque l’enfant fait une crise parce qu’il veut une glace, il ne souhaite pas être le roi, il veut seulement… une glace. On pourra décider d’accéder à sa demande ou non, mais on veillera à ne pas l’interpréter.

Sortir de ses gonds

Les crises font souvent sortir les parents de leurs gonds. Ainsi, certains s’écrieront : « Je lui défends de faire quelque chose, et il recommence ! »

Tout d’abord, il faut admettre qu’il est impossible d’obéir toujours. Ni Napoléon ni Hitler n’ont été obéis de tous et en toutes choses. Nous avons tous fait des excès de vitesse, triché un peu aux impôts… Il est donc déraisonnable d’attendre que notre enfant nous obéisse en tout toujours, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il est extrêmement difficile pour l’enfant de se souvenir des ordres. Nous-mêmes oublions beaucoup de choses. Par exemple, nous avons oublié une immense quantité de ce qu’on nous a enseigné à l’école. Ce dont on se rappelle est ce qui nous a été répété et qu’on a fait des milliers de fois (on se rappelle de comment on fait les additions et multiplications, mais pas des détails des cours de physique…) C’est pour cela qu’il est nécessaire de répéter mille fois chaque ordre.

Ainsi, l’ordre qui a probablement été le plus répété au monde est « buvez Coca-Cola. » Celui-ci apparaît toujours de la même manière, toujours avec la même patience, et ne devient jamais « Mais vous êtes idiots ou quoi, je vous ai dit mille fois de boire Coca-Cola ! » Les publicitaires savent en effet que ce que l’on n’obtient pas par la répétition, on ne l’obtiendra pas non plus par la menace.

Il ne le fait pas exprès

« Je lui dis de ne pas le faire, et il le fait devant moi, en me regardant dans les yeux et en souriant. »

Normalement, lorsque l’on décide de désobéir aux parents, on le fait en cachette. Ce n’est donc logiquement pas un acte délibéré que commet l’enfant qui agit en regardant son parent. Il demande des informations supplémentaires pour pouvoir obéir mieux. En effet, nos ordres ne sont jamais sans équivoque, et ils sont parfois difficiles à comprendre. Il est très difficile, en effet, de formuler un ordre qui ne soit pas interprétable, même les lois rédigées par des professionnels le sont souvent. Le docteur González détaille l’exemple de l’enfant qui dessine sur les murs. Lorsqu’on lui dira non, il pourra se demander « n’est-ce pas le bon mur (à l’école on dessine sur le mur noir), n’est-ce pas la bonne heure, aurais-je dû me laver les mains avant, ou bien utiliser une autre couleur peut-être… ? » Il recommencera donc d’une manière sensiblement différente, en observant notre réaction. Il ne s’agit pas là d’un défi, mais de la recherche de la compréhension de ce que le parent veut précisément. L’enfant sourit tandis qu’il recommence pour montrer qu’il n’est pas fâché… Il est difficile pour lui de comprendre qu’on ne peut dessiner sur aucun mur, d’aucune couleur, à aucune heure… mais lorsqu’il le comprendra, il arrêtera.

Prix et récompenses

Les prix et récompenses, nous dit le Docteur González, sont inutiles pour modifier le comportement, ainsi que le montrent plusieurs études. Ainsi, des ouvriers à qui on a promis une récompense un mois donné travaillent moins le mois suivant si on ne la leur promet pas à nouveau. Il faudrait donc toujours promettre la récompense et surenchérir.

De même, une étude a été réalisée dans deux classes : dans l’une on promettait un prix aux enfants qui dessinaient, dans l’autre pas, avant de leur laisser un temps de jeu libre. Durant ce temps, les enfants à qui on n’avait pas promis de prix précédemment dessinaient spontanément davantage que les autres.

Au-delà de cela, on peut se poser la question du choix de la récompense. Soit on offre une chose que l’on sait mauvaise (« les bonbons ne sont pas bons pour la santé, mais si tu étudies, je t’en donnerai »), soit on offre une chose bonne, dont on privera donc l’enfant qui n’accède pas à notre désir (« si tu n’étudies pas, je ne te donnerai pas de livre »), alors que cette chose bonne devrait être donnée à l’enfant quoi qu’il fasse.

Enfin, le prix détruit la qualité morale de l’acte. Par exemple, si mon enfant garde son petit cousin, joue avec lui et s’en occupe patiemment, il pourra se sentir fier de son acte, peut-être y voir la naissance d’une vocation professionnelle, etc. En revanche, s’il se voit promettre une récompense, il pourra douter lui-même de la raison pour laquelle il a agi, et en même temps son parent lui dit qu’il ne croit pas qu’il le ferait par pure bonté.

Une autre catégorie de prix est celui qui est inattendu, tel l’Oscar. Là, cela peut se révéler motivant. Mais c’est alors la valeur de l’acte du parent qui est dégradée. Ainsi, par exemple, ma fille qui a obtenu de bons résultats sait qu’elle a étudié par goût, mais je lui dis que je l’emmène à la campagne pour la récompenser de ses bonnes notes. Cela sous-tend le message que ce n’est pas juste parce que je l’aime, et que je n’aurais pas pris ce temps avec elle si elle avait obtenu d’autres résultats.

Punitions

Les études montrent que les punitions ne changent pas la conduite de la personne.

Pour commencer, un adulte ne se verra puni que pour des choses vraiment importantes (et pas parce qu’il a oublié de faire son lit), et il aura le droit de se défendre, de prendre un avocat, etc. Ensuite, si l’adulte change après son passage en prison, cela pourra être grâce à la prise en charge psychologique dont il aura bénéficié là-bas, mais en aucun cas grâce à la prison en soi.

Lorsque l’on parle de laisser l’enfant supporter les « conséquences naturelles de ses actes », il doit s’agir de conséquences vraiment naturelles (par exemple, les jouets doivent être vraiment perdus, et pas cachés exprès…). Quelquefois aussi, ces conséquences sont si graves qu’on ne peut pas laisser notre enfant les expérimenter (sauter par la fenêtre, boire de la lessive…). On pourra en revanche le laisser voir les conséquences naturelles qu’il y a à se mettre les doigts dans le nez (euh… il n’y en a pas !). Pour ce qui est du manteau on l’emportera quoi qu’il en soit au cas où. Si l’enfant sent la conséquence naturelle du froid, il pourra ainsi l’enfiler. Dans le cas contraire, c’est le parent qui se rendra compte de la conséquence naturelle de son obsession pour le froid et transportera le manteau toute la journée. Dans tous les cas, il est vraiment inutile de « marquer un point » (« je te l’avais bien dit ! »)

Carlos González détaille ensuite la parabole du Fils Prodigue. Ecrite il y a 2000 ans, elle met en scène un père qui accueille son fils fautif sans sermon, ni punition, ni conséquences, et qui va vers son autre fils pour le supplier de se joindre à eux.

Les enfants d’aujourd’hui

Ainsi, conclut notre orateur, les enfants d’aujourd’hui ont plus de limites que jamais. Ils se lèvent tôt pour aller à l’école, enchaînent avec la cantine, et ainsi de suite. Certes, les enfants de 12 ans ont plus de jouets qu’ils n’en avaient dans le passé. Mais un enfant de 1-3 ans ne demande rien d’autre que contact et attention, et de cela, ils ont bien peu.

Ainsi, une étude de Zussman montre que le fait que les parents qui tentent de se concentrer sur une distraction sans importance (style sudoku) modifient leur comportement vis-à-vis de leur enfant, par rapport à quand ils ne font rien d’autre que s’occuper d’eux. De même, les parents qui regardent la télévision grondent plus et parlent moins avec leur enfant.

Pourtant, il clôt sa conférence sur une note positive, citant une étude qui montre combien, sur 10 minutes, on observe d’interactions positives entre des parents et leurs enfants qui ne se savent pas observés, et d’une autre étude (1) qui montre les possibilités de résilience dont disposent les jeunes, notamment ceux dont les parents auront privilégié plusieurs des comportements suivants : encourager son enfant, passer beaucoup de temps avec lui et lui montrer tendresse et affection, ne pas le punir, encourager son autonomie, rester calme et privilégier la communication, partager des activités, offrir un modèle de conduite… Tous ces comportements, conclut le docteur González, sont accessibles à tous. En tant que parents, recherchons donc avant tout ce que l’on fait de bien…

Une question de sommeil

En réponse à une question du public concernant le sommeil des enfants, Carlos González cite une étude de Jenni (2), qui montre que de nombreux enfants éprouvent le besoin de dormir avec leurs parents, et que c’est à 4 ans que le plus grand nombre d’enfants le font (38% au moins une fois par semaine), pour diminuer ensuite jusqu’à l’âge de 10 ans. Il se demande si cela n’est pas dû au fait que les parents refusent aux enfants plus jeunes le cododo à cause des recommandations, alors que s’ils partagent la chambre de leurs parents dès la naissance, ce besoin diminue ensuite plus tôt, sachant que cette pratique n’est pas risquée si sur un lit et non un sofa et que les parents n’ont pas consommé d’alcool ou de drogue.

(1) https://www.questia.com/library/journal/1P3-2450753531/parenting-behaviours-associated-with-the-development

(2) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15866857

Compte-rendu de la conférence de Carlos González sur l’alimentation

 Par Lise

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Le 4 avril 2015, l’association Grandissons a invité à Cagnes-sur-Mer le docteur Carlos González. Ce pédiatre espagnol, fondateur d’une association catalane d’allaitement maternel et partenaire de La Leche League, est auteur de plusieurs livres, dont deux qui ont été traduits en français (Mon enfant ne mange pas, et Serre-moi fort). Il a présenté deux conférences, dont nous vous parlerons ici dans deux articles séparés.


Voici pour commencer ce que le Docteur González a expliqué au sujet de l’Alimentation de l’enfant. (*)

A titre d’introduction, notre orateur nous montre divers instruments et techniques utilisés pour convaincre les enfants de manger, de la cuillère-avion à la cuillère-bateau en plastique.

En tant que pédiatre, le docteur González remarque le nombre important de parents qui consultent au motif que leur enfant « ne mange pas. » Pourtant, dit-il, il y a en Espagne 30% d’enfants en surpoids, mais aucun qui souffre de malnutrition (pour info, environ 20% d’enfants en surpoids en France, selon l’HAS).

  1. Diversifier, pour quoi faire ?

L’allaitement maternel consiste consensuellement en la meilleure alimentation que l’on puisse proposer à l’enfant. Ni la mère ni le médecin ne savent exactement quelle est la quantité ni la composition de ce qu’ingère l’enfant, qui gère totalement ce qu’il prend (par exemple, la composition lipidique du lait varie au fil d’une même tétée, si bien que deux tétées de 50 ml offriront des apports différents d’une tétée de 100 ml.)

Et pourtant, une sorte de mythe vient affirmer que, brusquement, à l’âge fatidique de 6 mois, l’enfant ne trouve plus ce dont il a besoin dans le lait et ne sait plus gérer ce dont il a besoin. « Il devient idiot ! ». Il est alors nécessaire que le médecin précise quels aliments doivent être donnés à l’enfant, à quelle heure, etc. Ainsi tous les enfants d’Espagne se voient donner à 17h pile une demi-pomme, une demi-poire et une demi-banane ni plus ni moins.

Plusieurs recherches ont été menées pour tenter d’établir le nombre de calories dont les enfants auraient besoin selon leur âge. Les résultats en sont si variés selon les dates et les auteurs, et elles sont si peu précises au niveau des fourchettes d’âges, qu’on peut se demander quel est leur bien-fondé. Par exemple, on disait il y a quelques années qu’il fallait donner à un enfant 25 grammes de poulet, arrondissant ce chiffre à 50 grammes, alors que les besoins réels seraient plutôt situés autour de 15 grammes, et encore, de manière variable selon l’enfant et ses goûts « et s’il n’aime pas le poulet ?».

Besoins caloriques (kcal/jour)

Age (en mois)

FAO/OMS/UNU 1985 OMS/UNICEF1988 Butte2000

6-8

784 682

615

9-11

949 830

686

12-23 1170 1092

894

En effet, tous ces calculs ne tiennent pas compte des individus, ni précisément des âges. Pourtant, la docteure Butte a mené une étude bien plus précise, établissant des résultats selon le mode d’allaitement de l’enfant (le lait maternel contenant moins de calories que le lait infantile), son sexe, et son âge au mois près. Mais là encore, le tableau qu’elle a obtenu montre les résultats pour la moyenne de chaque groupe, donc des chiffres éloignés de la réalité pour un enfant donné. En effet, 5 % de la population normale se trouve mise à l’écart des + ou – 2 écarts-types. En bref, ce tableau permet d’observer que certains enfants sains et normaux mangent donc jusqu’à 2 fois plus que d’autres enfants sains et normaux.

En ce qui concerne les besoins en vitamines, à nouveaux les résultats fluctuent d’une étude à l’autre, allant, pour la vitamine C, à titre d’exemple, du simple au double selon si l’étude est américaine ou anglaise. La dernière étude de l’OMS tranche sur un besoin de 30 mg par jour. Cela signifie que les apports du lait maternel en vitamine C sont suffisants jusqu’à 3 ans. Pour ce qui est des nombreuses autres vitamines, on connaît encore moins les besoins réels, mais le lait maternel contient davantage de chacune que n’importe quel aliment, il est donc suffisant dans tous les cas.

Cela conduit notre orateur à mentionner cette fameuse phrase tant entendue : « ton lait ne suffit pas ! »

Et pourtant… Voici le tableau comparant l’énergie en kcal/100g de chaque aliment et celle du lait maternel :

Pomme de terre cuite

65

Pomme

52

Carotte cuite

27

Légumes avec viande (faits maison)

50

Lait maternel

70

Ainsi, même la pomme de terre cuite contient moins de calories que le lait maternel. C’est pourquoi, l’enfant prendra préférentiellement le lait. Si un enfant de 9 à 11 mois ne perd pas de poids, cela signifie qu’il consomme suffisamment de calories, soit environ 1 litre de lait maternel par jour, donc suffisamment de chaque vitamine (puisque le besoin en vitamines est couvert par moins d’un litre de lait).

9-11 mois Besoins/jour

Lait maternel

Energie

738 kcal

1054 ml

Protéines

9,6 g

914 ml

Vitamine A

400 µg

597 ml

Vitamine B12

0,5 µg

515 ml

Vitamine C

30 mg

750 ml

En outre, une étude montre que la quantité de lipides augmente au fil des mois d’allaitement (Mandel, D. et al. Pediatrics 2005;116:e432-e435).

La seule exception concerne le fer, tant en ce qui concerne le lait maternel que le lait de vache. Les réserves en fer de l’enfant (en particulier de celui dont le cordon aura été clampé immédiatement à la naissance) s’épuisent vers 6-12 mois. La consommation en fer de la mère ne permet pas d’augmenter sa quantité dans le lait maternel. C’est la raison pour laquelle on commence la diversification vers 6 mois : pour pallier à une éventuelle carence en fer de l’enfant. Si un enfant de 8-9 mois refuse de manger autre chose, en tant que pédiatre, le docteur González nous indique qu’il prescrit un complément en fer au cas où, sans s’inquiéter davantage (dans le cas d’un prématuré, il faudra le complémenter en fer dès la naissance).

Mais ce n’est pas là le motif principal de la diversification. Si c’était le cas, il serait facile de trouver des solutions moins incertaines que le poulet que mangera peut-être l’enfant, il suffirait de lui donner du fer en gouttes. Non, la raison pour laquelle on commence à diversifier l’enfant est bel et bien l’éducation.

On pourrait peut-être, nous dit le docteur González, continuer à se nourrir de lait maternel toute sa vie : je téterais ma mère, qui téterait ma grand-mère, laquelle tèterait mon arrière-grand-mère… Non, en effet, la chaîne se romprait forcément, il faut donc forcément se sevrer.

Les laits infantiles sont eux aussi plus nutritifs que n’importe quel aliment. On pourrait donc s’en contenter toute sa vie en ajoutant tout ce qui est nécessaire en fonction de notre âge, de notre profession, de notre mode de vie, ce qui nous permettrait d’éviter à tout prix diabète et cholestérol. On pourrait aller à la pharmacie, demander « du lait pour pédiatre espagnol de plus de 50 ans ». Mais, déclare notre conférencier, manger ce qu’il veut est un privilège, auquel il n’est pas prêt à renoncer, même si cela doit raccourcir sa vie de quelques années. Et ce privilège de choisir notre alimentation, nous souhaitons le transmettre à nos enfants. C’est pourquoi il faut le diversifier.

La diversification doit donc être proposée comme un privilège dévolu à une personne à part entière. Ainsi, en lui mettant les cuillères dans la bouche comme un avion et en le distrayant devant la télé pour qu’il avale, on s’éloignera de cet objectif.

 

  1. Mythes autour de la diversification

L’introduction de nouveaux aliments il y a un siècle était plus tardive, en particulier celle des fruits. On ne parlait pas alors de « manque d’appétit », mais on pouvait lire que « trop manger est dangereux ». Le terme de manque d’appétit n’apparaît dans les livres qu’en 1936, pour devenir le principal motif de consultation médicale en 1970.

Un autre mythe que dénonce le docteur González est l’idée que la purée fera prendre à l’enfant davantage de poids que le lait seul. Or, non seulement, comme nous l’avons vu, cela est impossible puisque le lait contient plus de calories et de vitamines que tous les aliments, mais c’est même l’inverse. On peut d’ailleurs observer que tous les enfants prennent plus de poids avant 6 mois, alors qu’ils boivent exclusivement du lait, qu’après. En ce qui concerne la soupe, tant plébiscitée par les parents, notre pédiatre nous explique à quel point elle est peu nutritive en réalité.

L’enfant de 6 mois environ mange tout : les clés, ses doigts, le papier… il mangera donc aussi la soupe le plus souvent. Mais l’enfant de 1 an-1 an ½ devient sélectif. Tous les enfants préfèrent les pâtes, le riz, les frites, le lait et les gâteaux. Ils choisissent plutôt les bananes et les petits pois (qui sont des légumineuses, comme les fèves, et non des légumes verts). En effet, les enfants n’aiment tout simplement pas les aliments pauvres en calories. Leur estomac étant très petit, il se remplit très vite.

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Illustration tirée de « mon enfant ne mange pas » :

« un bébé de neuf mois et une banane dessinés à la même échelle»

Si par exemple un enfant boit de l’eau, il n’aura plus de place dans l’immédiat pour du lait. Ils suivent, finalement, en sélectionnant leurs aliments, une « diète pour grossir ». L’adulte, lui, dispose d’un estomac suffisamment grand pour lui permettre de manger de plus importantes quantités pour obtenir ce dont il a besoin.

 

  1. Une diversification sensée pour une alimentation saine

Carlos González nous présente ensuite longuement la brochure du Health Promotion Unit, ministère de la santé irlandais, qui va à l’encontre de ce à quoi nous sommes habitués en Espagne ou en France à bien des égards. La couverture de cette brochure est illustrée d’un bébé tout sourire, tenant dans une main sa cuillère et dans l’autre son verre, devant son assiette remplie de morceaux. Visiblement, le fait qu’il ouvre ou non la bouche n’a aucune importance ici.

Starting to spoonfeed your baby : https://www.healthpromotion.ie/hp-files/docs/HPM00381.pdf

La suite de la brochure propose un début de diversification à 4 mois pour les enfants nourris au biberon. Celle-ci est prônée par quelques experts, car le lait artificiel n’est pas tout à fait complet encore de nos jours (bien que celui qui était utilisé il y a 50 ans soit aujourd’hui tout à fait interdit). Pourtant, le fait de commencer la diversification à cet âge-là suppose qu’on soit obligé d’ « enfourner l’enfant ». L’illustration montre toutefois qu’il faut laisser l’enfant attraper la cuillère s’il le souhaite, garder le sourire de part et d’autre, et, qu’une fois encore, le fait que l’enfant ouvre la bouche ou non n’a pas d’importance.

S’ensuit l’information selon laquelle il ne faut jamais ajouter de céréales dans le biberon, car la nourriture trop concentrée pourrait être nocive pour l’enfant. De même, l’enfant nourri au biberon se verra proposer de boire son lait au verre dès l’âge de 6 mois, de sorte à ce que le biberon puisse être supprimé avant 12 mois afin qu’il ne prenne pas l’habitude de s’endormir avec le biberon dans la bouche, ce qui peut être cause de caries (voir à ce sujet l’article d’Alice).

Enfin, il est montré que le repas de la famille, par exemple des pommes de terre, sera le même pour l’enfant, pour qui on aura pu écraser une portion à la fourchette, mais à qui on ne donnera pas de nourriture mixée. En effet, cette habitude de mixer est récente, et à l’époque où il fallait utiliser la moulinette manuelle, personne ne s’infligeait ce travail trois fois par jour.

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En ce qui concerne les aliments du commerce, s’ils sont pratiques pour les voyages, ils ne devraient pas être donnés tous les jours. Les céréales pour bébé, par exemple, en plus d’être chères, sont moins bien que celles contenues dans les pâtes, le riz, etc. D’une part elles contiennent beaucoup de sucres, et d’autre part, le goût vanillé qu’elles ont souvent n’enseigne pas le goût salé.

L’âge précis d’introduction d’aliments, l’ordre d’introduction, etc. n’importent pas. La seule chose qu’il faut prendre en compte est que les apports en fer soient comblés (viande…), puis ceux en calories (petits pois…) Le reste n’est proposé que dans l’objectif que l’enfant s’habitue aux goûts. Au-delà de 6 mois, la consistance sera en morceaux.

La règle de sécurité à suivre sera d’être toujours à côté de l’enfant qui mange. L’enfant ne s’étouffe pas avec la nourriture. Il peut lui arriver de s’étrangler, auquel cas il tousse, crache et… remange. Cela ne devient grave que si la nourriture entre dans les voix respiratoires, dans 75% des cas, cela se produit avec des cacahuètes, ce qui peut se produire avec des aliments durs et lisses qui, glissant entre les dents, sauteront et pourront être envoyés au fond de la gorge avec élan (noyaux, noisettes, os, graines…) Avec, par exemple, du pain, cela ne se produit pas, car ce dernier reste collé et mou. On pourra donc prendre quelques précautions avec l’enfant très jeune, telles que couper les pommes en lamelles. Bien sûr, il est important d’éviter d’ajouter sucre et sel aux aliments, de sorte à induire l’habitude à long terme d’en limiter l’usage. Cela devra donc être poursuivi, car ces ajouts sont aussi néfastes à 6 ans qu’à 2 ans, et que les conséquences néfastes, telles que l’hypertension, sont causées par une consommation dans la durée. C’est donc avant tout une habitude de diète avec moins de gâteaux et de sel qu’on s’attachera à transmettre à l’enfant.

Jusqu’à 1 an, le lait de vache et les laits végétaux ne pourront pas être considérés comme un aliment principal.

Avant 1 an, l’enfant devrait être capable de manger la majeure partie de ce que mange la famille. Cela ne signifie pas qu’il devra ingurgiter une certaine quantité, mais qu’il saura le faire. Par exemple, l’enfant qui a mangé seul un petit pois sera considéré comme capable de le faire. En revanche, l’enfant à qui on aura donné 250 grammes de purée-avion ne l’est pas.

L’anglais utilise le mot « baby-led weaning », qui désigne la période entre l’introduction du premier aliment et la fin du sein ou biberon. Il ne s’agit pas de sevrage, mais d’alimentation complémentaire.

Parallèlement à cela, l’enfant conduit plusieurs apprentissages : prendre en main, porter à sa bouche, comparer les goûts et les textures (par exemple des aliments qui comportent des parties molles et d’autres dures, comme le melon)… Il apprend à décider de ce qu’il mange, et ne mange que ce qu’il veut (comme le dit avec humour notre conférencier, cela l’entraînera pour, lorsqu’à 15 ans, il devra choisir une pizza en sortie avec les copains, ne pas avoir besoin de téléphoner à sa mère pour qu’elle lui dise laquelle choisir).

Si enfant mange peu mais seul, il compensera en prenant davantage de lait, que ce soit au sein ou au biberon. S’il mange une grande quantité de purée qu’on lui aura donnée à la cuillère, il lui manquera une grande quantité de vitamines, et il n’aura rien appris… De plus, forcer un enfant à manger est dangereux (risques d’obésité ou de refus) et inutile. Les autres causes de l’obésité sont les aliments pré-cuisinés, le manque d’exercice physique… Ainsi le docteur González nous recommande de ne « manger que ce que ma grand-mère aurait mangé » et de ne boire que de l’eau.

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Carlos González clôt cette conférence en montrant diverses photos et vidéos présentant des enfants de 6 mois et plus en train de manger des aliments divers, souriants et sales.

D’autres vidéos : https://www.youtube.com/watch?v=zzPMAJCPhmAhttps://www.youtube.com/watch?v=tdP1fe38cQY

Euh… oui, lesquels vous semblent prendre le plus de plaisir à manger ? (malgré les titres de cette seconde série de vidéos, oui, oui, avec le mot-clé « funny baby eating » ! [Attention, ils peuvent être durs à regarder])


D’autres vidéos : https://www.youtube.com/watch?v=f4xvuRGq2Sshttps://www.youtube.com/watch?v=nkhHKfmiUzw


(*) : voir aussi notre page sur l’alimentation

L’éducation bienveillante

Par Ariane

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La plupart des parents de France se comportent avec leurs enfants selon un modèle éducatif séculaire, partant de principes généraux tels que : un enfant a besoin de limites, de rudesse, d’autorité parfois violente, pour comprendre ce qu’il doit et ne doit pas faire. Le rapport parent-enfant suit généralement ce principe de domination : un enfant doit être dominé, un parent doit être dominant. Les émotions de l’enfant sont souvent réprimées, ses sentiments minimisés, et tout cela couvert d’un « c’est pour son bien ».

De plus en plus d’études récentes, cognitives et comportementales, nous informent sur le fonctionnement du cerveau d’un enfant, sur son développement. Elles nous amènent objectivement à reconsidérer les besoins de l’enfant, et l’impact que ces pratiques éducatives ont sur lui/elle. D’après ces études, le développement du cerveau de l’enfant est entravé par les violences subies, et son système cognitif ainsi que son comportement porteront les séquelles de toute forme de violence, physique ou psychologique. (1)

Il est également nécessaire de se poser la question des valeurs morales que ces violences lui inculquent. Etre menacé, frappé « pour notre bien », par quelqu’un qui est censé nous aimer, nous protéger… quel sentiment crée-ce chez un enfant ? Que l’on peut se montrer violent envers plus vulnérable que soi, que l’on peut faire du mal volontairement à quelqu’un qu’on aime, qu’il faut refouler ses propres émotions ?

On peut aussi se demander si la société dans laquelle nous vivons nous convient, si l’éducation reçue a permis le développement une société heureuse et équilibrée. Nous avons toujours privilégié une éducation violente, et le résultat n’a jamais été probant. Et si nous essayions autre chose ?

De nouveaux courants éducatifs, que l’on peut appeler « parentalité positive » ou encore « éducation bienveillante », émergent depuis un certain temps pour remettre en question le modèle éducatif qui fait loi. Ces courants prônent la bienveillance, le respect de l’enfant, de ses besoins, de son développement. Il s’agit principalement d’être attentif à son enfant, de l’écouter, de le laisser s’exprimer, et de substituer à la répression la communication, l’accompagnement, l’ouverture.

Un enfant qui grandit en étant accompagné, pris en compte, respecté dans son intégrité, ne deviendra pas un tyran ; il deviendra un être humain équilibré, qui vivra selon les valeurs qui l’auront fait grandir, et perpétuera ce modèle. La violence entraîne la violence, il va de soi que la bienveillance entraîne la bienveillance.

Il nous arrive souvent de nous retrouver pris dans un rapport de pouvoir avec nos enfants, avec cette idée de « mater » notre enfant, de le dominer, de « lui montrer qui commande ». Et souvent, en y réfléchissant, on réalise que la plupart des « non ! » que nous opposons à nos enfants ne sont finalement pas importants, pas nécessaires. Mais la vie quotidienne, souvent, nous entrave, nous frustre, et il peut arriver que nous éprouvions l’envie de faire subir cette colère, cette frustration, à plus vulnérable que nous, plus impuissant : notre enfant. C’est difficile d’être parent, mais cela ne le serait sans doute pas autant si notre société ne nous imposait pas autant de limites, de contraintes, suscitant forcément un sentiment de frustration bien naturel. Mais plutôt que d’être « contre », essayons d’être « avec » !

L’éducation bienveillante, inconditionnelle, joyeuse, positive, intervient dès la naissance, partant du principe qu’un bébé a besoin d’attachement sécure autant qu’il a besoin de se nourrir. Répondre à ses besoins lui permet de développer une confiance, un sentiment de sécurité, et un équilibre, qui ne remet pas pour autant le nôtre en cause. Certes, il implique de veiller sur son enfant, mais après tout, c’est une définition de la parentalité qui peut sembler appropriée…

On peut choisir le chemin de l’éducation non-violente par principe général : il est inacceptable de frapper un adulte ou un animal, il est donc tout autant (si ce n’est plus) inacceptable de frapper un enfant. On peut aussi faire ce choix par envie : la relation bienveillante avec nos enfants est plus agréable pour toutes les personnes concernées. On peut aussi le faire par esprit pratique : si les méthodes d’éducation sans punitions, sans répression, sans coups, sans chantages ni humiliations, prennent parfois plus de temps et surtout de créativité, elles sont aussi plus efficaces sur le long terme ; un enfant qui n’a pas peur d’être agressé, verbalement ou physiquement, est moins stressé, plus attentif, et davantage ouvert à la communication.

On apprend par-dessus tout par imitation. Le modèle de respect que nous donnons à nos enfants portera ses fruits. Ce respect implique la prise en compte de ses opinions ou de ses envies, l’acceptation de l’expression de ses émotions, bien légitimes, la réponse à ses besoins si elle est possible, et l’explication de nos actes à son égard.

Voilà un défi à notre hauteur : reconsidérer l’enfant. Ne plus l’envisager comme un tyran manipulateur qu’il faut « remettre à sa place ». Le traiter au contraire comme un être humain d’une valeur égale, dont les besoins, les sentiments, les émotions, ont autant besoin que les nôtres d’être pris en compte si ce n’est plus étant donné leur immaturité cognitive et leur vulnérabilité. Tout le monde en conviendra, on apprend mieux avec des explications, de la tendresse et des sourires que sous les cris, les coups et les humiliations.

Presque tout le monde en France a été élevé selon le modèle éducatif dominant (c’est le cas de le dire). Il est d’autant plus difficile de le juger objectivement, en particulier car cela implique de remettre en question le modèle éducatif parental. Mais pour le bien de nos enfants, il est indispensable de se poser la question de ce que nous voulons leur transmettre, de la part choisie de l’éducation que nous leur donnons et de la part inconsciente, reproduisant ce modèle qu’il nous est parfois si douloureux de considérer. (2)

Pour le bien-être de nos enfants autant que pour une société plus heureuse, intéressons-nous à notre modèle éducatif. Remettons-le en question, envisageons d’autres pistes, d’autres façons de voir les choses. Des ressources existent : livres, documentaires, sites internet… Ils présentent également des méthodes qui ont fait leurs preuves.  (3)

Einstein a dit : « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent. » Et si on essayait autre chose ? Si on avançait avec nos enfants et non plus contre ?


  1. « Pour une enfance heureuse » de Catherine Guéguen
  2. Olivier Maurel et l’Observatoire de la Violence Éducative Ordinaire
  3. Voir notamment les ouvrages d’Isabelle Filliozat ou encore de Faber & Mazlisch (un article viendra bientôt ici sur les lectures de l’éducation bienveillante)

Les vœux de Grandissons…

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 Par Marie

J’ai procrastiné, j’ai pensé que j’avais jusqu’à la fin du mois pour écrire les vœux de Grandissons (à écouter en chanson (1)). Vous imaginez maintenant la difficulté dans laquelle je me trouve après le 7 janvier… Après que des terroristes sont venus exécuter des dessinateurs, des journalistes, en pleine conférence de rédaction (2). Après l’horreur aussi des jours qui ont suivis. Il y aura bien évidemment des questions à se poser sur ce qui a été et ceux qui ont été à l’origine des attentats et si je vous invite à voir quelques liens posés ci-dessous (3) ce n’est pas ici le lieu d’en débattre. Il y a pourtant une chose essentielle qui nous réunit dans notre association et dont je veux vous parler aujourd’hui.

Je suis persuadée que, plus que jamais, c’est de bienveillance dont nous avons besoin. D’abord, parce que comme le dit très justement une amie, « l’éducation non-violente n’a jamais fait de mal à personne ». Et comme Olivier Maurel, « […] nous ne croirons jamais que des enfants élevés avec amour et respect, sans châtiments corporels, sans autres humiliations d’aucune sorte, puissent devenir un jour des assassins […] » (4). Ensuite, parce que la seule réponse que l’on peut opposer à la violence, c’est la non-violence.

L’éducation contre l’obscurantisme,

L’amour contre la haine,

La bienveillance contre la violence…

Qu’elle nous donne les plus belles choses, cette nouvelle année, maintenant que nous avons vu le pire. Que l’on s’y aime plus encore. J’espère aussi et je nous souhaite très fort que nous puissions jouir longtemps de la liberté dont nous bénéficions et que cette liberté ne sera pas réduite sous prétexte de sécurité.

Robert Badinter dit : « Sans liberté de la presse, il n’y a pas de démocratie, et même, il n’y a pas de liberté tout court ».

Et demain, moi, j’irai acheter un journal.

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(1) Mais de grâce morbleu, laissez vivre les autres, La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas

Car enfin, la camarde est assez vigilante
Elle n’a pas besoin qu’on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds!
Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente… 

https://www.youtube.com/watch?v=SSidr-gXPSc ou bien cette version : https://www.youtube.com/watch?v=-70EXsXhdg0, ou alors celle-ci : https://www.youtube.com/watch?v=lvf2hJXzbuo

(2)  Sigolène Vinson, une des rescapés, raconte : http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/13/c-est-charlie-venez-vite-ils-sont-tous-morts_4554839_3224.html et Patrick Pelloux pleure « Ils ont abattus des gens qui étaient en train de parler de la lutte contre le racisme » https://www.youtube.com/watch?v=08sNxvfqN_8

(3) Je vous recommande en particulier de lire Robert Badinter : http://www.liberation.fr/societe/2015/01/07/robert-badinter-les-terroristes-nous-tendent-un-piege-politique_1175717 et d’écouter Bernard Ghetta http://www.franceinter.fr/emission-geopolitique-geopolitique-479

(4) Sur le site de l’Observatoire de la Violence Éducative Ordinaire : http://www.oveo.org/on-ne-nait-pas-terroriste-on-le-devient/

Les réflexes éducatifs

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Par Vicky

Lorsque ma fille Stella avait 10 mois à peu près, elle s’amusait à tirer sur les fils de la lampe du salon, précisément parce que je le lui interdisais. A ce moment-là j’étais occupée avec de la paperasse et le message « maman prête-moi de l’attention » était évident mais je ne pouvais pas répondre à sa demande. Pour autant je la trouvais légitime. Ceci dit la répétition de son comportement dangereux malgré la répétition des « non » de ma part a fini par m’énerver (il faut dire que je ne suis pas de nature très patiente, même si avec le temps je m’améliore). J’ai donc attrapé sa petite main et je m’apprêtais à lui mettre une tape dessus. Et je me suis arrêtée aussitôt, avant de le faire. Parce que je n’ai pas pu m’empêcher de me demander pourquoi exactement je m’apprêtais à faire ce geste :

qu’allait-elle en tirer ? Que voulais-je lui apprendre et qu’allais-je lui apprendre ? Qu’est-ce qu’elle allait ressentir physiquement et psychologiquement ? Avais-je le droit de le faire ? Jusqu’où vont nos droits vis-à-vis de nos enfants ? Et surtout et avant tout : qu’est-ce qui m’a poussé moi à le faire ?

Ce moment-là a donné naissance à de multiples 
réflexions et constatations, dont sûrement la plus importante était l’existence de réflexes éducatifs. Et donc la nécessité de s’en débarrasser, de s’en libérer pour tendre vers une éducation réfléchie, choisie, adaptée à ma famille à moi (plutôt qu’à celle qu’ont construite mes parents), qui reflètera mes aspirations éducatives et sociétales. Une éducation qui ne reproduira pas toutes ces choses qui ont pu me faire souffrir en étant enfant, et dont je me souviens très bien. Ma mémoire n’a jamais permis ce genre de rupture d’avec mon enfance. Je n’ai pas oublié le sentiment d’injustice que je pouvais ressentir dans diverses situations, ni l’envie de « me venger », cette frustration d’être toujours l’enfant, celle qui subit ce qui semble bon et juste aux parents et qui sait qu’elle, elle n’aura jamais ce pouvoir vis-à-vis d’eux.

Mes parents n’étaient ni des gens conventionnels, ni des gens bêtes, ni des tyrans. Cela n’a pas empêché les
erreurs et les ratés. Oui c’est inévitable, mais ce qui importe aujourd’hui 
pour l’adulte et le parent que je suis c’est de les reconnaître, de ne surtout 
pas fermer les yeux dessus. J’ai entendu des adultes de la génération précédente 
défendre leurs choix éducatifs en disant « nous on a fait comme ça et nos enfants n’en sont pas morts/traumatisés/malheureux etc. ». J’ai entendu des 
gens de ma génération défendre l’éducation qu’ils ont reçue en disant
« mes parents m’ont éduqué comme ça et je ne m’en porte pas plus mal ». Voilà, tout est bien qui finit bien, on se croirait dans un monde d’adultes bien portants, sains, dans une société qui va dans le bon sens. Et pourtant j’ai plutôt l’impression que la société n’a plus aucun repère qui vaille, aucune valeur réellement humaniste, je vois des adultes névrosés et malheureux dans tous les milieux, sans parler des excès de violence juvénile, du pétard à 13 ans qui ne choque plus personne, de la consommation excessive d’alcool et ainsi de suite. Une société qui va droit dans le mur, avec des jeunes ni bien dans leurs têtes, ni bien dans leurs baskets.  Mais personne ne veut se remettre en question ! Tout le monde a bien éduqué ses enfants, tout le monde a été bien éduqué ! Pourvu qu’on n’ait pas à se poser des questions qui nous 
emmènent à considérer nos parents, nous-mêmes ou nos enfants comme défaillants.

Ma mère pense que du moment où un parent est bienveillant et donne le meilleur de lui-même, on n’a pas le droit moralement de lui reprocher grand’ chose. C’est pourquoi elle n’est pas toujours réceptive à mes « analyses ». Et en effet beaucoup de gens pensent comme elle. Sauf que peu importent les reproches, ce n’est absolument pas là qu’il faut mettre l’accent. Il s’agit d’identifier les problèmes, les erreurs qui ont été faites dans le but de ne pas les reproduire. Certains ressentiront le besoin de faire des reproches à leurs parents, d’autres pas. En tout cas, ce n’est absolument pas l’étape des reproches qui fera de nous des meilleurs parents, c’est la prise de conscience. Il est important de renouer avec ses ressentis d’enfant vis à vis des comportements des adultes. Car si le jugement d’un enfant n’est pas toujours à retenir, les
 ressentis en revanche il faut toujours les considérer. Alors que nous savons respecter (ou faire semblant de respecter) les ressentis d’un adulte, bizarrement ceux des enfants on les calcule beaucoup moins, comme s’ils étaient 
moins importants, moins déterminants, moins décisifs pour leur développement, alors qu’ils en sont le fondement même.

Il y a toujours quelqu’un de bienveillant pour nous dire : de toute façon ce ne sera pas parfait, des erreurs on en fait tous et blablabla. Ce n’est pas une raison pour nous dédouaner, c’est trop facile ! Ce n’est sûrement pas sous prétexte que des erreurs seront faites qu’il ne faut pas tout faire pour les éviter. Alors libérons-nous des nos réflexes éducatifs, des choses que nous faisons parce que « ça a toujours été comme ça », prenons-nous la tête sur le pourquoi du comment, nous pouvons et devons faire mieux que la génération précédente. L’éducation de nos enfants n’est pas à prendre à la légère et l’amélioration de nos sociétés est d’une urgence absolue. Je ne vois pas grand chose qui vaille la peine plus que ça. Car il s’agit bien de peine, comme tout effort de réflexion.

Janusz Korczak…

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Par Lise

[Cette semaine a lieu la journée internationale des droits de l’enfant, Lise vous présente à cette occasion le premier d’une série d’articles sur un grand médecin-pédiatre-écrivain-pédagogue-humaniste, Janusz Korczak.]


On voit quelquefois passer son nom, dans PEPS Magazine, en préface à Olivier Maurel… et pourtant, il ne nous est guère connu, tout au plus à cause de sa mort tragique. Moi-même, je ne l’ai pas vraiment rencontré lors de mes lectures ou recherches sur les thèmes de l’éducation et de la non-violence, mais parce que ma mère m’a prêté deux de ses livres. J’ai commencé ma lecture de Comment Aimer un Enfant d’un œil un peu critique, laissant filtrer des doutes tels que « encore une vieillerie avec des regards préhistoriques et stricts sur l’enfance… », pourtant, rapidement, je me suis laissée prendre par la poésie et l’originalité de l’approche. Oui, certains passages sont réellement durs, certes, ou peuvent agacer un peu, d’autres encore font sourire. Mais plus je lis et relis ces pages (pour tenter d’en faire une synthèse sur le présent blog) plus la puissance du message, sa richesse, sa dimension, m’enthousiasment. Je pense que, à l’époque où fleurissent les livres sur la non-violence éducative et sur les pédagogies alternatives, Korczak mérite absolument d’être connu et reconnu… et il est probable que je ne manque pas de revenir parler de lui ici !

Janusz Korczak est un pédiatre et écrivain polonais né en 1878, qui œuvrait à une refonte de l’éducation et du statut de l’enfant, privilégiant la sauvegarde et le respect absolu de l’Enfance. Il voulait une école de la démocratie et de la participation. Il dirigea deux orphelinats mixtes organisés en républiques d’enfants. Il créa des émissions de radio et des revues et journaux pour enfants, et il écrivit des livres pour enfants et pour adultes. Sur le plan pédagogique, son œuvre s’inscrit dans la lignée de la « pédagogie active » et de « l’École nouvelle », aux côtés de Montessori, Decroly, Neill, Freinet…

Il est aussi le précurseur reconnu de la mise en pratique des droits positifs de l’enfant (droits d’expression, de participation, d’association, etc.) officiellement établis le 20 novembre 1989 par la Convention des Nations Unies pour les Droits de l’Enfant, texte et acte politique majeur dont il exigeait l’élaboration depuis la fin du XIXe siècle (et auquel Aldo Naouri se targue de s’être opposé).

Il fut déporté en 1942 au camp d’extermination de Treblinka, avec les enfants du ghetto de Varsovie qu’il n’avait pas voulu abandonner (cf. le film de A. Wajda : Korczak, 1989).

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Comment aimer un enfant a été écrit au front, en 1915. Dès les premières lignes, le ton du livre frappe : écrit à la deuxième personne du singulier, il s’adresse au lecteur et commence par une question, dont la réponse est… « je ne sais pas. » Et, tout au long du livre, les questions, en longues listes, ne vont cesser de se succéder, laissant au lecteur le soin de réfléchir. Ici, pas de méthode, pas de réponse-type, pas de toute-puissance du scientifique « qui sait » mieux que le parent la manière dont celui-ci devrait élever ses enfants. C’est presque un dialogue qui s’instaure entre le lecteur et l’écrivain, dialogue rendu plus délicieux encore par le nombre des années écoulés depuis sa rédaction et qui donnent un petit goût sépia à certains passages, tandis que d’autres éclatent de modernité. Korczak ne parle pas seulement de démocratie et d’échange, il les montre. Ici, on ne se trouve pas face à un théoricien, mais à un homme d’expérience. Et à un poète. Tout, dans la forme comme dans le fond, appuie sa pensée : ainsi, il insèrera lui-même quinze ans plus tard des remises en cause de ses dires, des précisions, des prises en compte de l’évolution en fin de  plusieurs parties.

Le livre se décline en quatre chapitres : l’enfant dans sa famille, internat, colonies de vacances, la maison de l’orphelin. Chacun d’eux contient son lot d’idées capables d’apporter un regard nouveau ou enrichi aux parents ou aux enseignants d’aujourd’hui. Si je me permettais un petit reproche à la forme du livre, c’est celui que l’auteur semble suivre ses pensées dans un ordre un peu aléatoire, ce qui retire à mon sens un peu de la clarté et de l’intensité du propos.

Je ne parlerai dans cet article, que du premier de ces chapitres, en raison de l’absence de concision qu’à lui seul, il a causé dans mon écrit. Je ne peux m’empêcher, pour commencer, de citer quelques extraits de la première sous-partie, celle ou le médecin-éducateur se fait poète et philosophe pour parler de la grossesse et de la naissance :

« Le battement d’un cœur petit comme un noyau de pêche fait écho à ton pouls. C’est ta respiration qui lui procure l’oxygène. Un sang commun circule en vous deux et aucune de ses gouttes rouges ne sait encore si elle sera à toi ou à lui, ou si, répandue, il lui faudra mourir en sacrifice au mystère de la conception et de l’accouchement. Cette bouchée de pain que tu es en train de mâcher, c’est du matériau pour la construction des jambes sur lesquelles il courra, de la peau qui le recouvrira, des yeux dont il regardera le monde, du cerveau où la pensée flamboiera, des mains qu’il tendra vers toi et du sourire avec lequel il t’appellera « maman ».

« Parmi ces millions d’hommes, toi qui accouché d’un homme de plus. Qui est-il ? Une brindille, une poussière – un rien. (…) Mais ce rien est frère des vagues de la mer, du vent, de l’éclair, du soleil, de la Voie lactée. (…) Dans ce rien, il y a quelque chose qui sent, désire et observe ; qui souffre et qui hait ; qui fait confiance et qui doute ; qui accueille et qui rejette. »

Ce premier chapitre, l’enfant dans sa famille, se décline en 116 sous-parties, chacune porteuse d’une réflexion ou d’une idée, que je regrouperais en quelques grandes idées que j’ai pris la liberté de classer dans les titres ci-dessous :


L’enfant : une personne et une personnalité

Korczak montre l’enfant comme issu de la lignée d’ancêtres dont les milliers de parcelles sont réunies pour former une identité nouvelle. (sous-parties 2 à 5) Il insistera tout au long du livre sur l’individu. Les enfants se déclinent en autant d’identités et de caractères. L’auteur se pose la question de la part d’inné dans le comportement de l’enfant, part qu’il faudra accepter sans espérer changer l’individu,  et celle d’acquise par l’éducation, pour laquelle il s’agit de s’employer à lui donner ce dont il aura besoin pour s’épanouir. Cela donne matière à une riche réflexion sur la part de l’hérédité et celle de l’éducation dans la personnalité (n°49 à 53).

Une idée importante est que l’enfant n’est pas un mini-adulte en attente, mais d’ores et déjà une personne, dont chaque instant de vie a une valeur en tant que telle, et non comme une période de construction (n°40, n°64). La seule différence serait le manque d’expérience, dont Korczak nous donne de succulents exemples (n°65 à 71). Oui, cela va de soi, semble-t-il, et pourtant non, pas tant que cela, et lire ces passages le fait ressentir plus clairement que jamais. C’est ce qu’il définit comme le « droit de l’enfant à être ce qu’il est ».

On trouvera aussi des descriptions, des regards sur les nourrissons, les enfants, les adolescents, leur psychisme, leurs ressentis… oui, en lisant certains passages, on peut croire que l’auteur a vu à travers les yeux d’un enfant juste avant de tracer ses mots. Encore une fois, pas en termes d’âge et d’acquisition, mais en des descriptions rien moins que poétiques, il nous donne à voir ce qu’il croit percevoir chez certains enfants, sans omettre d’insister sur la variabilité des individus qu’ils sont déjà, et cela à plusieurs reprises, selon les périodes de la vie (n°26 à 43).

Ajoutons, pour démodée qu’elle soit, que la partie sur les filles et les garçons (« la fille, en plus des contraintes de l’enfance, doit subir déjà celles de la féminité », si, si, allez donc lire, n°99) n’est pas inintéressante dans les réflexions auxquelles elle peut conduire, ainsi que la réflexion finale et l’analyse de l’adolescent (n°101 à 115, « Nous avons peut-être tendance à y voir une période critique exceptionnelle et mystérieuse alors qu’en fait elle ne constitue qu’un des passages difficiles qui jalonnent la vie de l’enfant » (105)).

Cette vision respectueuse de l’enfant en tant que personne sert de base aux théories éducatives qui sont mêlées à ces descriptions.

« Elle est tout à fait fausse cette image qui nous représente l’enfant comme un anarchiste-né ou un être aussi intransigeant que vénal. L’enfant a le sens du devoir, respecte l’ordre, et ne fuit pas ses responsabilités pour peu que nous ayons la sagesse de ne pas les lui imposer par contrainte et qu’elles ne dépassent pas ses forces. » (n°102)

 


Education respectueuse et liberté

Beaucoup de paragraphes sont étonnants de modernité, et prédisent très nettement ce que l’on lit dans les livres récents : l’inutilité de vouloir faire correspondre l’enfant à un standard, les craintes et les difficultés des jeunes parents face à un jeune enfant qui leur parait difficile, l’importance de l’attachement parental dès les premiers instants (« si la jeune mère pouvait comprendre l’importance capitale de ces premiers jours et semaines… »)…

On trouvera quelques réflexions surprenantes sur la manière d’embrasser son enfant (« ce sont là des manifestations quelque peu douteuse d’une sensualité exaltée », n°32), sur les domestiques, sur la régulation des naissances (n°6)… aussitôt suivie d’une remise en question de la part de l’auteur, qui s’accuse de « bouderie puérile l’ayant longtemps poussé à refuser la nécessité d’un contrôle des naissances »)… Oui, quelques réflexions qui pourraient bien hérisser les cheveux sur la tête, mais… encore une fois, l’époque d’une part, la globalité du livre d’autre part, permettent de les contourner d’un sourire indulgent.

D’autres parties sont un peu en décalage avec ce que l’on connaît à présent, ou montrent combien de chemin déjà, a été parcouru. Tel ce paragraphe complet (n°38) consacrée au « droit de l’enfant à mourir » (eh ! oui, considérons qu’en 1915, le taux de mortalité infantile était d’environ 100 pour 1000 naissances vivantes, 1 sur 10… !) Et cela ne rend que plus précieux le fait d’avoir un enfant souvent bien-portant près de soi…

Mais ce dont Korczak parle le plus, c’est du droit de « vivre sa vie d’aujourd’hui ». Ainsi, il encourage les parents à offrir à leur enfant indépendance et liberté, à le laisser courir, comparant les sorties du petit paysan à la chambre aseptisée du petit citadin, et insistant sur l’importance des expériences que l’enfant effectuera lors de jeux pour ses apprentissages, et sur sa capacité à mesurer les risques (n°37 à 44). Il parle aussi de l’importance de ne pas accéder à tous les désirs de l’enfant, et à lui enseigner l’impossibilité ou l’interdit. Plusieurs parties sont également dédiées à l’importance de l’imagination et du jeu, et la manière dont les enfants s’y impliquent selon leur personnalité (n°72 à 80).

Dans son paragraphe sur l’alimentation, il propose de « donner à l’enfant ni moins ni plus que ce qu’il veut manger ». Idem pour le sommeil (n°62 et 63). Même l’allaitement au sein bénéficie d’une partie remarquablement ouverte, où il n’est pas opposé au biberon, mais à… l’engagement d’une nourrice, vivement condamné par Korczak, qui affirme déjà que chaque mère peut allaiter, et encourage à allaiter (presque) à la demande ! Et celui-ci d’enchaîner en parlant de diversification quasi-menée par l’enfant… (n°19 à 23)

Plusieurs paragraphes sont dédiés à la manière dont les enfants perçoivent les adultes, les mots que ceux-ci leur adressent, les croyances qui peuvent en découler chez les enfants (n°81 à 92). C’est déstabilisant, surprenant… mais ce que cela m’a inspiré avant tout, c’est : enfin un auteur qui essaye de se mettre à la place des enfants dont il parle, qui les a écoutés, qui, peut-être même, se souvient de sa propre enfance et s’appuie sur ses souvenirs pour proposer des affirmations !

En cinq parties (n°54 à 58), il décrira plusieurs milieux éducatifs de manière claire, tout en essayant de montrer ce que chacun pourra apporter ou non à l’enfant selon son caractère. Qu’il est bon de lire quelques pages sur la diversité, quelques lignes qui laissent voir qu’il n’y a pas une seule et unique manière de faire, qui donnent quelque recul !

Toutes ces idées éducatives mettent en avant l’objectif que l’enfant, qui « un jour aura des cheveux gris », devra plus tard « se retrouver dans la société, dans l’humanité, dans l’univers » (n°45).  « Nous lui faisons porter le fardeau de ses devoirs d’homme de demain sans lui accorder ses devoirs d’homme d’aujourd’hui. » (n°64) Dès lors, celui-ci ne devrait pas simplement subir des règles qui lui auront été imposées sans dialogue.


Langage, communication, échange

Enfin, Korczak donne un rôle extrêmement important au langage et au poids des mots.

Il décrit le nourrisson comme un être capable de comprendre, sinon les mots, du moins les situations, dès son plus jeune âge. Je n’aime cependant gère ce passage où il décourage la mère de trop lui parler au moyen de vraies phrases (n°29). Pourtant, il montre combien la manière de s’exprimer de l’enfant est riche et claire avant même qu’il soit capable de parler, et combien déjà il a de choses à dire (n°34). Je suis plus mal à l’aise avec la fin de ce passage, qui dit que le nourrisson pourra également se montrer « despotique avec son entourage » : pourtant Korczak ne veut par là que reconnaître aux enfants, en leur qualité de personnes à part entière, la possibilité de ne pas avoir envers tous et toujours un comportement positif.

Plus tard, il explique le besoin qu’a l’enfant de comprendre le monde qui l’entoure, et la manière dont l’adulte pourra l’aider par des mots, en lui donnant non seulement le nom de l’objet, mais aussi une appréciation sur celui-ci (n°47). Plusieurs parties s’attachent à montrer l’importance des mots dans la compréhension du monde qui nous entoure, quel que soit l’âge, et combien ils sont nécessaire à la construction de la pensée et des questionnements (n°85 à98).

Enfin, plusieurs longs passages sont dédiés au côté conventionnel du langage, et à la difficulté pour l’enfant de maîtriser ces règles (n°65) et de comprendre le langage souvent imagé : « la plupart des erreurs que nous commettons en portant nos jugements sur des enfants viennent du fait que nous prêtons nos pensées et nos sentiments aux mots qu’ils nous empruntent et qui, le plus souvent, ont pour eux une signification différente de celle que nous leur donnons » (n°68-69), quoi qu’il soit capable de raisonnement, mais retenu par une somme d’expérience moindre.

Porteur lui aussi de mots et de langage, l’enfant est capable d’apprécier le monde qui l’entoure, autant que ses valeurs morales. C’est ainsi que Korczak arrive à cette affirmation sensationnelle :

« Je pense que le premier et indiscutable des droits de l’enfant est celui qui lui permet d’exprimer librement ses idées et de prendre une part active au débat qui concerne l’appréciation de sa conduite et la punition. » (n° 37)

C’est d’ailleurs cette idée qu’il a appliqué dans la gestion de ses orphelinats, où opérait un tribunal d’arbitrage d’enfants. Mais de cela, je parlerai dans un prochain article, celui-ci se faisant déjà fort long.

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Conclusion

Combien d’ébauches, d’introductions, de bases… contient ce livre ! Lisez-vous Isabelle Filliozat, Olivier Maurel, Faber et Mazlich, Ginott… ? Je ne crois pas trop m’avancer en suggérant que le bourgeon de tout ce qu’ils décrivent se trouve déjà dans ce livre. Je suis un peu de parti pris, c’est vrai, et on pourra m’opposer que je ne décris que ce qu’il contient de positif, tout en omettant sciemment ce qui pourrait choquer ou ennuyer le lecteur moderne. Oui, mais j’ai déjà trop à dire sur ce que ce livre contient d’enthousiasmant, répondrais-je à cette critique justifiée.

Je ne conseillerais pas ce livre en première lecture à un parent qui s’interroge sur l’éducation non-violente ou s’intéresse au parentage. En revanche, je crois que c’est un enrichissement important, une base historique et un support réel que tout parent ayant déjà de bonnes idées sur la question pourra lire avec plaisir, surprise et curiosité, mais surtout avec avidité, et qu’il devrait appartenir au bagage incontournable de qui s’intéresse à la question.

L’interrogation qui me reste un peu douloureusement posée au coin des lèvres en refermant ce livre est « mais n’est-ce pas tout de même un peu triste et décourageant de constater qu’un siècle après qu’il a été écrit, nous n’en soyons encore QUE là, à croire naïvement que nous découvrons ce que cette homme affirmait déjà, à bâtir des théories utopiques quant à la nouveauté et à la potentialité de ces idées ? »

« Qu’aucune opinion ne soit une conviction absolue, immuable. Que le jour présent ne soit toujours qu’un passage, de la somme des expériences d’hier à celle, enrichie, des expériences de demain… A cette seule condition, notre travail ne sera jamais ni monotone ni sans espoir. »

Serait-ce là la réponse de monsieur Korczak ?


A venir : Les méthodes éducatives et pédagogiques de Januz Korcsak parties 2, 3 et 4 du livre.


Pour aller plus loin :

http://www.gfen.asso.fr/fr/pensee_pedagogique_de_j._korczak

http://korczak.fr/

http://www.unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/2014/02/14/l-innovation-pour-faire-progresser-les-droits-de-l-enfant-21266

Mode d’emploi de Petit Écureuil

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Par Ariane

A force de lire des kilos de livres, de parler avec d’autres parents, de passer des heures sur Internet, de réfléchir à la question de l’éducation, et bien sûr d’éprouver mes idées chaque jour avec Petit Écureuil, cobaye involontaire, m’est venu l’idée de rédiger un petit « Écureuil, mode d’emploi », qui évidemment n’est pas à suivre au pied de la lettre, un-e enfant n’étant pas une recette de cuisine ou un meuble en kit, et les sentiments et émotions du moment n’étant pas prises en compte, et un enfant n’étant pas linéaire (heureusement), etc. mais dont les grandes lignes peuvent servir à ses congénères, avec lesquels les parents ont comme moi envie de rester non-violent-e-s et de conserver des rapports harmonieux.

Voici donc mon modeste brouillon, à modifier et améliorer chaque jour avec chaque nouvelle expérience ou confrontation.


Situation de conflit : Petit Écureuil veut/veut faire quelque chose que je refuse de lui donner/laisser faire, ou ne veut pas faire ce que je lui demande (etc), et résiste à mes tentatives d’explications/de persuasion.

  1. Je respire un grand coup, et je quitte la pièce si je sens la colère monter, pour pouvoir réfléchir objectivement.
  2. Je me pose la question : est-ce que c’est bien important ? Est-ce que je pourrais lâcher prise sans que ça pose un problème pour sa sécurité, son bien-être…?

Si je peux lâcher prise, je lui explique que j’aurais voulu qu’elle voie les choses comme moi, mais que là, après réflexion, je vais lui laisser faire ce qu’elle voulait. Si par exemple elle refusait de ranger ses jouets et que mes tentatives de persuasion n’ont pas fonctionné, je dis par exemple « bon, cette fois c’est moi qui range (avec ton aide), parce que je suis solidaire, et que je fais ça pour que tu n’aies pas à le faire, mais j’aimerais la prochaine fois que tu le fasses aussi ».

Si je ne peux pas lâcher prise parce que c’est vraiment important, je négocie/essaie de la convaincre :

– l’explication : je ne veux pas que, parce que, et si, et comment…

– la diversion (ex. si elle ne veut pas s’habiller, je lui raconte une histoire en l’habillant sans qu’elle s’en rende compte)

– je lui fais voir les choses autrement : je lui montre le côté positif obtenu par l’acceptation. Ex. elle ne veut pas prêter son jouet (ce qui est son droit, soit dit en passant), je lui souligne le plaisir qu’aura son copain/sa copine à le recevoir, je lui rappelle qu’elle récupèrera le jouet quand il/elle sera parti… Si elle ne veut pas se préparer pour partir, j’insiste sur le plaisir qu’elle aura à se rendre à l’endroit où l’on va. Elle veut une glace que je ne peux lui donner, je lui demande ce qu’elle aimerait manger ce soir.

– je lui demande, tout simplement : s’il te plaît Petit Écureuil, je sais que tu n’as pas envie, mais je te le demande, s’il te plaît ?

– je lui donne un choix entre deux possibilités. Tu ne veux pas mettre tes chaussures ? Est-ce que tu préfères mettre celles-ci ? Ou alors préfères-tu les mettre toi-même ?

– je fais intervenir le jeu (voir le formidable livre de Lawrence Cohen, « Tu veux jouer avec moi ?« ). Ex. elle ne veut pas se préparer pour partir, j’invente un monstre qui est dans la maison et qui nous poursuit (« vite, vite il faut partir !! »). Elle ne veut pas se déshabiller pour se changer, je lui saute dessus en lui arrachant ses vêtements parce que j’ai faim et que je veux les manger. Elle rigole toujours. Ce qui marche très bien aussi : lui demander de me faire la surprise. Elle ne veut pas prendre sa douche ? Je lui dis « bon, ben ce n’est pas grave, je m’en vais, mais peut-être que quand je reviendrai dans la salle de bains tu m’auras fait une surprise et tu seras toute nue sous la douche ! Ca marche pratiquement à chaque fois (à n’utiliser qu’avec parcimonie donc, pour ne pas user le mécanisme 😉

– l’humour (marche presque toujours avec Petit Écureuil). Ex. « tu vas pas mettre ces chaussures-là ?! Mais c’est des tongs et il fait -10° dehors ! Mais ça va pas non, cette enfant est incroyable » avec une grosse voix, et Petit Écureuil éclate de rire et en rajoute, et hop, la pilule passe mieux.

si vraiment rien n’a fonctionné, je la préviens que je vais le faire « de force ». Exemple typique : le coup du médicament. Si elle est malade et qu’elle a vraiment besoin de prendre un médicament pour aller mieux, que j’ai épuisé toutes mes ressources de persuasion, je lui dis que je suis désolée, mais que je vais devoir le faire de force, et je le fais : je la plaque au sol et lui donne le médicament. Mais je l’ai prévenue avant, preuve de respect et inspiration à la confiance.


Le conflit : Petit Écureuil est en désaccord et se met en colère.

Nos enfants nous mettent souvent très en colère. Mais la formulation même de cette phrase montre bien le nœud du problème : nos enfants ne nous mettent pas en colère. Nous nous mettons en colère en réaction à leurs actions/mots/comportements. Mais, au moins jusqu’à un certain âge, il ne peut pas y avoir d’intention de nuire… Elle ne le fait pas exprès : soit elle teste pour constater mes réactions (ce qui est plutôt sain et « normal », même nécessaire au développement, c’est l’expérimentation du monde), soit elle veut quelque chose que je lui refuse (elle a le droit de le vouloir, comme j’ai le droit de lui refuser), soit c’est moi qui interprète avec mon cerveau d’adulte. Comme de l’anthropomorphisme, c’est de l' »adultomorphisme ». Nous ne pouvons pas interpréter leurs comportements avec nos critères à nous. C’est leur prêter des intentions qu’ils ne sont tout simplement pas capables d’avoir.

Ce qui m’aide beaucoup c’est l’apprentissage du réflexe « je me mets à sa place » (ça marche aussi avec les adultes…). Pourquoi a-t-elle réagi comme ça ? Pourquoi insiste-t-elle ? Dans le livre « Tu veux jouer avec moi ? » de Lawrence Cohen, il explique que nous, adultes, avons pour nos enfants la même incompréhension qu’ils ont pour nous. Il cite cet exemple : nous nous demandons comment notre enfant peut trouver plaisir à habiller/déshabiller sa poupée pendant des heures, et il/elle se demande comment nous pouvons trouver plaisir à passer une soirée entière autour d’une table à discuter. Nous n’avons pas le même vécu, les mêmes expériences, les mêmes peurs. Nous avons eu le temps de faire un chemin qu’ils n’ont pas entamé. Mais nous avons des choses à leur envier : leur spontanéité, leur absence de jugement ou de peur d’être jugé (ça ne va malheureusement pas durer), leur insouciance, leur capacité à s’immerger dans une activité et se laisser entraîner par leur imagination sans retenue, leur « vérité », leur absence de préjugés sur les autres et donc leur capacité à aimer sans conditions, à aller vers les autres sans retenue.

Nos enfants ne sont pas des « mini-nous ». Ils pensent, ressentent différemment. Mais pour elles/eux comme pour nous : crier et frapper n’est jamais constructif… Essayer de comprendre et s’adapter est plus efficace, et plus agréable pour les deux parties.

Lorsque Petit Écureuil se met en colère, je décris ce que je pense qu’elle ressent, je lui dis que je sais que c’est difficile pour elle de ne pas pouvoir avoir/faire/etc, mais que je ne peux pas faire autrement. Je comprends son émotion, tristesse et colère, et je la prends dans mes bras en attendant que ça passe. Généralement quand l’émotion est nommée et exprimée, elle passe toute seule très rapidement à autre chose.

Cela prend plus de temps sur le moment (et encore, pas tant que ça) que la confrontation brutale, mais nous gagnons un temps infini sur le long terme, sans compter une sérénité et une complicité précieuses. Par exemple elle ne veut pas s’habiller, je lui propose de choisir ses habits ou de s’habiller toute seule, ou je lui invente un défi, ou je propose la robe « avec les poches pour mettre des trésors », ou j’imagine un lutin qui va aider à l’habiller,… quel temps gagné en comparaison avec le temps que j’aurais perdu à l’habiller de force ! Et enfant et parent heureux-ses 🙂

Je pense que la clef (toujours en ce qui me concerne) c’est de savoir accepter de lâcher prise, de céder, parce que ce n’est pas grave ! Elle veut mettre le pull rouge plutôt que le vert ? Faire un jeu de façon complètement iconoclaste ? Veut manger un biscuit entre les repas ? Ne veut pas faire de sieste ?

On est obsédé-e-s par l’idée qu’un enfant ne doit pas gagner, ne doit pas avoir ce qu’il veut, qu’il ne faut pas céder à ses envies (qui ne sont que des caprices, bien entendu), l’enfant-roi, l’enfant-tyran… Mais si moi, je veux mettre le pull rouge plutôt que le vert, faire un jeu de façon complètement iconoclaste, manger un biscuit entre les repas, ne pas faire de sieste ? Est-ce que quelqu’un vient me hurler dessus en me traitant de capricieuse ? Et si je me mets en colère parce que je ne supporte pas une injustice, me traite-t-on de capricieuse ? Non, on m’admire même pour savoir m’indigner et ne pas me laisser faire.

Si ce que Petit Écureuil me demande ne contrevient pas à sa sécurité, son bien-être, (ou à ceux des autres) ne conduit pas à des dégâts matériels (et encore), je ne vois pas pourquoi, juste « pour ne pas céder », je m’obstinerais, créant une confrontation stérile et douloureuse pour nous deux. Parfois je souligne « d’accord, puisque ça te fait tant plaisir ».

J’accepte aussi (voir les livres d’Aletha Solter) qu’elle exprime ses émotions. Elle a le droit d’être en colère. Le droit de pleurer, de crier. Et même, c’est bon pour elle. Elle laisse sortir ce qu’elle a en elle, n’en a pas honte, et ça lui fait du bien, ça lui permet de passer à autre chose très vite et sereinement, le cœur plus léger.

Je me donne aussi le droit de m’exprimer. Je n’use pas de violence envers elle mais je lui dis ce que je ressens : « Je suis très en colère contre toi parce que tu m’as fait mal » par exemple. « Je suis très énervée parce que tu as renversé ton yaourt sur la table et que tu l’as étalé sur les coussins, je vais devoir tout nettoyer, et ça me rend furieuse ».

Je lui propose de réparer quand elle casse quelque chose, salit,…

J’essaie aussi de terminer sur une note positive : bon, je nettoie, mais la prochaine fois tu essaieras de garder le yaourt dans le pot et de ne pas donner à manger aux coussins ?


Pour résumer :

– ne pas hésiter à lâcher prise, si besoin en exprimant son ressenti : « ça m’embête vraiment que tu ne veuilles pas faire autrement mais je veux bien lâcher prise ».

– sortir de la pièce le temps de réfléchir pour ne pas l’avoir sous les yeux et entretenir les sentiments négatifs.

– décrire la situation et les ressentis/émotions.

– accepter que l’enfant exprime son émotion et l’y encourager.

– exprimer sa propre émotion (je ressens, parce que tu as, et ça me…) à son enfant, ça crée un défouloir plus constructif…

Surtout, ne jamais laisser penser à l’enfant que l’on ne l’aime plus… L’amour est inconditionnel (voir Alfie Kohn). C’est la chose qu’il a faite ou dite, l’attitude qu’il a eue, qui nous a mis-e en colère, pas sa personne.


Voilà, c’est mon très modeste petit kit de survie en milieu enfantin. Ce qui est formidable, c’est que ces grandes lignes, cette façon de communiquer, est aussi incroyablement bénéfique et constructive, entre adultes ! La communication non-violente ne concerne pas que les enfants… Et c’est plus efficace, et plus agréable… alors pourquoi s’en priver ?

A lire : Alice Miller, Jesper Juul, Isabelle Filiozat, Lawrence Cohen, Catherine Guéguen, Oliver Maurel, Haïm Ginott (entre autres).

L’ENV avec deux enfants : double challenge ?

[Education non-violente]

Un atelier pour parler et échanger autour de la difficulté de vivre avec deux enfants.

On recherchera des pistes pour plus de bienveillance et d’entente dans la fratrie.

L’atelier est complet. Il y en aura d’autres, contactez-nous si vous êtes intéressés.

Compte-rendu de la conférence d’Olivier Maurel

Par Lise et Marie

Nous avons eu l’honneur de recevoir Oliver Maurel qui est venu nous faire une conférence vendredi 25 Avril, à l’occasion de la 10ème journée de la Non-Violence Éducative sur le thème : Pourquoi et comment s’orienter vers une éducation sans violence ? Comme promis, en voici un compte-rendu.


Olivier Maurel est né en 1937. Il était près de Toulon lors de la guerre, et a été témoin de combats près de chez lui, ainsi que de la déportation et des récits de sa sœur ainée. Marqué par ces faits, devenu professeur de lettres, il s’est interrogé sur ce qui pouvait être à l’origine des la violence chez les humains et découvre les ouvrages d’Alice Miller, en particulier « C’est pour ton bien ». C’est à la demande de cette dernière qu’il a rédigé son premier livre, « la Fessée ». Il est également le fondateur de l’Observatoire de la Violence Éducative Ordinaire.

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Il observe que, dans les pays où les enfants sont davantage frappés, la situation se répète, car elle apparaît comme la normalité aux nouveaux adultes. Ces méthodes d’éducation s’apparentent pourtant, dit-il, à un virage dangereux à signaler.

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Compétences et comportements innés de l’Homme

 

L’Homme est, nous dit Olivier Maurel, un animal social, doué de compétences innées, qui se développent seules, avec le soutien de l’adulte. L’organisme sait qu’il ne peut pas vivre seul. Cela se décline en quatre capacités :

  • Les enfants agissent dans la mesure où l’attachement leur est absolument nécessaire (John Bowlby (1)). En effet, le fait que le nourrisson cherche à téter dès la naissance est le premier des comportements relationnels, lié également à la production d’ocytocine, cette hormone de la tendresse, chez la mère. De même, les pleurs de l’enfant bras tendus vers l’adulte, et le physique séducteur des bébés ont pour rôle d’éviter un abandon qui signifierait la mort.
  • L’imitation est caractéristique de tous les enfants. On parle de neurones-miroirs, qui enregistrent les comportements observés et se préparent à reproduire le geste, toujours dans un rôle lié à la relation avec l’entourage.
  • Dès leur plus jeune âge, les enfants sont capables de manifester de l’empathie, ils peuvent identifier les émotions et les intentions des autres. Ainsi en témoigne l’observation des bébés qui se mettent parfois à pleurer tous en même temps dans les maternités.
  • Les jeunes enfants font preuve d’un altruisme spontané. Ils ont des capacités de consolation, et apportent naturellement leur aide à l’adulte s’ils remarquent que c’est nécessaire, par exemple lorsqu’ils voient un adulte trop chargé pour ouvrir la porte de l’armoire (Warneken, voir la vidéo ci-dessous).

 

 

En outre, les enfants manifestent des capacités de réflexion précoces, qui, par exemple, leur permettent de réfléchir à un ordre avant d’agir et de ne pas obéir s’ils ne trouvent pas de raison à le faire. De même, ils manifestent une préférence pour les figurines de jeu qui ont offert leur aide aux autres qu’à celles qui ont des rôles négatifs.

Pour vivre, l’enfant est prêt à s’adapter à tout, y compris à son environnement éducatif, quel qu’il soit, pour garder un lien avec ses parents. Ainsi, les neurones se connectent en fonction de l’éducation reçue, qui peut, par exemple, induire la peur, un manque de confiance dans les autres et en soi… L’enfant n’ayant pas de point de comparaison, il croit ce qu’on lui dit, y compris si on lui affirme qu’il est méchant, paresseux… Ainsi, l’enfant frappé continue à aimer ses parents, mais il cesse de s’aimer lui-même.

 


Définition de la violence éducative

 

Olivier Maurel nous décrit la violence éducative comme un iceberg. L’iceberg figure la différence entre violence éducative et maltraitance : la partie émergée figure la maltraitance reconnue (qui dépend de la société dans laquelle on vit. En France, on considère par exemple que si la fessée est admise, il n’en est pas de même pour des coups de bâtons). Sous la mer, toutes les formes de violences destinées à l’éducation des enfants.

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36 pays ont fait totalement émerger cet iceberg en interdisant toute forme de violence. L’UNICEF a obtenu que dans la majorité des pays, la violence à l’école soit interdite. Il reste donc plus de 150 pays où on continue, parfois dans les écoles aussi, parfois seulement à la maison, à employer la violence. Dans les sud des Etats-Unis, par exemple, on peut utiliser une latte de bois pour corriger les élèves (Olivier Maurel nous dit posséder un exemplaire qui lui a été envoyé).

Parallèlement à la violence physique, il y a aussi la violence verbale, celle qui consiste à asséner à l’enfant des « tu es nul », « tu feras le trottoir », comportant les insultes, le chantage… Et la violence psychologique (manque d’attention, attitudes méprisantes, etc).

Pour reconnaître s’il s’agit de violence, il suffit de se demander si on supporterait un tel comportement de la part de quelqu’un qu’on aime. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas bon non plus pour l’enfant.

La banalisation de la violence éducative provoque une sorte de mépris des enfants. L’idée qu’il faut corriger les enfants remonte à fort loin : la Bible contient une douzaine de proverbes qui recommandent de frapper les enfants, St Augustin invente au 4ème siècle le péché originel, Freud décrit les enfants comme parricides, porteurs d’inceste, Kant écrit que L’homme a été taillé dans un bois si tordu qu’on n’en pourra jamais tirer quelque chose de tout à fait droit.» De tout cela perdure l’idée que seule la violence peut fonctionner pour redresser l’enfant (corriger = rendre droit), cela reste présent dans le vocabulaire et dans la culture. Ainsi : « une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne »… Quant aux enfants, ils seront affublés de termes comme « mouflets, morveux, chiard, merdeux, pisseuse… » qui n’ont pas une étymologie très tendre…

La violence éducative se transmet aussi par les neurones miroirs, et enseigne la violence. Lorsqu’elle est utilisée lors de petits conflits, elle enseigne à lier conflit et violence. Elle entraîne l’impulsivité à laquelle on s’habitue dès l’enfance, au lieu de montrer le conflit comme quelque chose de normal, y compris quand on s’aime, et qui peut être une bonne chose quand on le dépasse.

Olivier Maurel nous dit qu’un des rôles essentiels des parents est de permettre le découplage entre conflit et violence.

 


 Les conséquences physiques et mentales de la violence 

 

  • Le stress est une des principales conséquences physiques causées par la violence. A l’origine, le stress est un moyen de défense face au danger, qui provoque fuite, paralysie ou défense. Il se caractérise par un flot d’hormones qui apporte à l’organisme plus de sang de sorte à préparer les muscles à réagir. Or, des études menées sur des rats montrent que si on ne peut ni fuir ni se défendre d’un stress répété, le système digestif s’altère. Les hormones de stress (cortisol et adrénaline) pourraient détruire les capacités cognitives ; le système immunitaire est également atteint, ainsi que la croissance, délaissés au profit de la préparation de l’organisme à lutter contre le danger.
  • Sur les capacités relationnelles : en ce qui concerne l’attachement, s’il est mélangé aux réactions de violence dans la famille, l’enfant risquera de mêler les deux, ce qui augmentera la possibilité qu’il reproduise ce schéma, par exemple en violence conjugale.
  • Sur la sexualité : il semble exister une relation entre la violence éducative et le développement d’une sexualité déviante. JJ Rousseau raconte par exemple dans ses confessions que la fessée l’a rendu masochiste.
  • Sur l’imitation des comportements : d’après Olivier Maurel, on acquiert un seuil de tolérance à la violence lors de notre enfance ou de notre adolescence. Pour quelqu’un qui n’a pas subide violences lors de l’enfance, la violence est perçue comme une anomalie.

Olivier Maurel nous rappelle qu’il ne s’agit là que d’une augmentation statistique des risques et qu’il est bien sûr possible d’échapper à ces conséquences d’un point de vue individuel. Mais le fait que la violence éducative soit répétée et sur une longue période joue un rôle important. En effet, celle-ci peut débuter lors des premières « bêtises » du tout petit enfant et perdurer jusqu’à la majorité ou même après (à titre d’exemple, Olivier Maurel nous conseille le livre de Gavino Ledda, Padre Padrone).

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Olivier Maurel mentionne une étude réalisée sur des chiens, et qui montre que, lorsqu’ils sont enfermés dans une cage électrifiée dont ils n’ont pas la possibilité de sortir, ils n’ont par la suite plus l’idée d’essayer de s’enfuir lorsque cela devient possible. Il s’agit là de « détresse acquise ». Ainsi, la violence ne prépare pas à supporter la « dure vie » qui attend le futur adulte, mais au contraire, peut causer de tels comportements de passivité.

Enfin, obligé de s’endurcir pour supporter la violence, il arrive que l’enfant devenu adulte oublie cette violence qu’il a subie, ce qui entraîne également des problèmes au niveau de ses capacités d’empathie.

Les enfants sont capables d’acquérir très jeune les notions de justice et de bien et de mal. L’adage « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse », attribué à Confucius (probablement parce qu’il fut le premier à l’écrire), représente un principe élémentaire de la morale. Olivier Maurel nous cite une thèse réalisée sur l’emploi de cette formule, de Confucius en 500 avant J.C. à Barrack Obama en 2004. Il aura fallut attendre la fin du XXème siècle pour qu’un psychologue américain remarque que cette formule n’était jamais appliquée aux enfants : ils se retrouvent en dehors du domaine de la morale !

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Quels comportements adopter pour essayer de sortir de la violence éducative ?

Il est important tout d’abord de réaliser un travail sur soi-même dans le but de se déconditionner, en particulier d’oublier l’idée qu’il pourrait exister une bonne violence. Notons que l’enfant que l’on a été est notre base fondamentale et qu’il est important de s’y reconnecter.

Certaines thérapies peuvent être utiles pour se faire aider dans ce travail, tels que des psychothérapies, le neuro-feedback (http://www.neurofeedback-france.fr/4.html) ou encore l’EMDR (http://www.emdr-france.org/spip.php) (Olivier Maurel nous raconte avoir personnellement testé cette dernière avec beaucoup de réussite).

En situation de crise, l’adulte pourra parler d’avoir la « sensation que la main le démange », l’instinct tendant à chercher à reproduire le passé (Olivier Maurel parle du geste venant du passé à travers la main du parent). On peut alors tenter de se recentrer sur soi-même : respirer profondément pour se détendre, compter mentalement, chanter, sortir de la pièce… sont autant de petites aides pour essayer de ne pas réagir par réflexe, mais de faire passer la réflexion avant.

Il est important de se mettre dans une position intérieure de question. On peut aussi demander à voix haute « qu’est-ce qui nous arrive ? », ce qui peut aider à se calmer et l’enfant aussi.

Ensuite Olivier Maurel nous conseille plusieurs auteurs qui offrent des pistes pour trouver des solutions (2), tels que :

–          Les ouvrages d’Isabelle Filliozat, en particulier « j’ai tout essayé ! » et « Il me cherche ! »

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–          Le dernier livre de Catherine Guéguen « Pour une enfance heureuse »

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–          Jesper Juul : « Regarde… ton enfant est compétent : Renouveler la parentalité et l’éducation»

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–          Catherine Dumonteil-Kremer « Une nouvelle autorité sans punition ni fessée »

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–          PEPS magazine (en particulier le dernier numéro) : Olivier Maurel est désormais auteur régulier de chroniques pour le magazine

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Il est, en outre, primordial d’accueillir les émotions de l’enfant. Entre 18 mois et 4 ans, on parle du « pic de violence », lié au nombre important de découvertes qu’il fait au quotidien, aux émotions dont il est le centre, et que l’enfant peut manifester en donnant des coups. Cela disparaît bien avant l’adolescence et n’a rien à voir avec la violence des adolescents et des adultes, qui, elle, est acquise culturellement. Nommer les émotions peut aider le tout-petit à prendre ses distances avec elles. L’utilisation de signes de la langue des signes pourra l’aider à le faire avant de savoir parler.

Enfin, il s’agit de définir clairement notre rôle en tant que parents. Le psychothérapeute Pierre Lassus (auteur de livres sur la maltraitance des enfants) suggère les trois principes de base «  Protéger, Pourvoir, Permettre »

  • Protéger : ce qui ne veut pas dire se faire trop de souci et empêcher l’enfant d’agir, mais de mesurer ce qu’il peut faire par rapport à son âge. En effet, l’enfant se protège aussi lui-même le plus tôt possible.
  • Pourvoir : aux besoins fondamentaux physiques, affectifs et intellectuels (en utilisant le langage, en évitant le mensonge…), ce qui ne veut pas dire accéder à tous les désirs immédiatement. Ceux-là, on pourra les écouter, les noter par écrit, jouer autour par l’imaginaire… Dans ce domaine, les réponses principales seront apportées par l’exemple.
  • Permettre : laisser l’enfant aller vers un but. Olivier Maurel nous donne cette définition : « le rôle de l’autorité, c’est de savoir permettre. » Le but de l’éducation, en effet, est de conduire l’enfant à l’autonomie. Il s’agit donc d’avoir confiance en ses capacités, tout en restant lucide par rapport à son âge. Notre conférencier fait ici une distinction claire entre « veiller sur », qui rime avec bienveillance, et « surveiller », qui sous-entend méfiance.

Il faut pourtant savoir dire non, expliquer, établir des règles claires pour la vie familiale. Elles seront d’autant plus respectées qu’il y en aura aussi pour les parents à l’avantage des enfants (par exemple, « papa doit lire une histoire chaque soir ») et faites avec l’enfant.

Isabelle Filliozat propose de préférer le « stop » : qui vise un comportement et s’exprime souvent avec un visage ouvert, au « non », qui peut sonner comme un refus sur la personne, et s’accompagne de sourcils froncés. De même, il est préférable de parler positivement (« on reste sur le trottoir »), plutôt que d’employer la négation (« on ne traverse pas la route »), difficile à assimiler par les enfants, compte tenu de l’immaturité de leur cerveau.

Enfin, comme le dit Jasper Juul, on peut se demander : « si j’avais un conflit avec mon ami, comment me comporterais-je ? » pour obtenir quelques réponses quant au comportement à adopter. « Il faut rendre les conflits constructifs plutôt que chercher à avoir raison à tout prix », nous dit-il encore.

Bien sûr, tout ceci est plus facile à dire qu’à faire, d’où l’importance de se ménager un réseau de soutien : le conjoint, les livres, les listes de discussion (telles « Parents-conscients » sur Yahoo (3)), les associations (comme Grandissons (4)) pourront aider.

Quelques autres pistes lancées par Olivier Maurel et tirées de son expérience familiale : écrire les difficultés du moment (permet de prendre du recul par rapport à la situation présente) ou encore se dire que c’est le regard qu’on lui porte qui peut causer les difficultés de l’enfant, créant un cercle vicieux, et essayer de changer ce regard.

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 Les questions du public 

(Nous ne citerons que des pistes de réponses, par soucis de concision)

1 –      A propos du pic de violence chez les enfants : comment gérer la violence entre frères et sœurs en tant que parent ?

L’arrivée du 2ème enfant peut parfois être à l’origine de la violence éducative (système de protection du plus jeune). Suggestion de la lecture de « Frères et sœurs sans rivalité » d’Adèle Faber et Elaine Mazlish

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2 –      Quelles alternatives à la punition ?

Olivier Maurel cite en particulier le dernier numéro de PEPS qui parle entre autres des alternatives aux punitions et aux récompenses.

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3  –      Loi d’interdiction de la fessée, où en est-on en France ?

Olivier Maurel suggère de voir le documentaire de Marion Cuerq « si j’aurais su… je serai né en Suède ! » (on en a parlé ici même).

4  –      Y’a-t’il un lien entre l’éducation que l’on reçoit et la non-réaction à une scène d’agression ? (au sujet de l’agression dans le métro à Lille)

Difficulté de réagir dans un groupe parce qu’on a tendance à attendre que quelqu’un réagisse à notre place.

Etude sur les Justes (personnes qui ont recueilli, protégé ou défendu des personnes menacées durant la période du Régime de Vichy).

5  –      Que penser des cris ? Est-ce traumatisant pour les enfants de crier?

Dans PEPS magazine, Anne-Marie Bosems suggère de transformer les cris en manifestations théâtrale (voir article « La Castafiore », rubrique Anti-pétage de plombs dans le numéro 6 ).

castafiore« Oui, je l’avoue, parfois j’aimerais que le pyjama qui traîne au milieu du salon soit ramassé par son propriétaire, que le départ pour la médiathèque se fasse vite et bien ou que les bagarres s’arrêtent. Entre autres choses qui m’agacent et pour lesquelles je souhaiterais une coopération enthousiaste de toute ma tribu ! Le plus souvent, je parle plus fort, je crie même parfois. […] Mais dans les très bons jours, c’est-à-dire quand j’ai de l’énergie et que je suis joyeuse, je réussis souvent quelque chose d’épatant : je chante. […] il ne faut pas hésiter à faire la Castafiore […] elle prend des poses, le dos de la main sur le front, elle est prête à défaillir… C’est à la fois un moment de détente, une bouffée d’oxygène, un éclat de rire et un moment de coopération. »

 

(5) 

6 –      Enseignante confrontée à 30 enfants de 3 à 5 ans : situation anti-naturelle, existe-t-il des solutions pour qu’elle soit plus sereine ?

Piste : témoigner du respect, voire de l’affection, pas vraiment de réponse…

 


Conclusion

Peu de temps avant le début de la conférence, Olivier Maurel nous a parlé d’une émission de France Inter où il était invité avec Aldo Naouri (un pédiatre s’étant récemment illustré pour son apologie du viol conjugal (6)) pour débattre sur le thème « Faut-il être un dictateur avec ses enfants ? ». Autant vous dire que l’on se rend compte très rapidement, rien que dans la forme des prises de parole de l’un et de l’autre, dans quel camp se situe la violence… (7)

Un grand merci à Olivier Maurel pour sa venue, la clarté de son exposé et sa gentillesse. Merci également au public (8) venu nombreux et ses excellentes questions qui ont fait avancer la réflexion.

 


 

Notes en bas de la page :

 

(1) Nous reparlerons d’attachement ici très bientôt.

(2) Nous avons quelques livres d’Isabelle Filliozat, d’Alice Miller et d’Olivier Maurel dans notre bibliothèque de prêt.

(3) Nous avons nous aussi listé un certain nombre de ressources sur notre page Education non-violente.

(4) oui, oui, nous sommes là aussi pour ça !

(5) Vous pouvez aussi aller consulter la page fb 21 jours sans crier sur mon enfant 

(6) Pour en savoir plus : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/820245-violez-la-l-etrange-humour-du-pediatre-aldo-naouri-et-la-complaisance-de-elle.html

(7) Emission radio France Inter « ça vous dérange » 2008 : Olivier Maurel et Aldo Naouri. En 4 parties :
1 : http://www.dailymotion.com/video/x6eilb_fr-inter-ca-vous-derange-060808-pt1_lifestyle#.UWMlsJONhqc
2 : http://www.dailymotion.com/video/x6ek9c_fr-inter-ca-vous-derange-060808-pt2_lifestyle#.UWMlzJONhqc
3 : http://www.dailymotion.com/video/x6ekcy_fr-inter-ca-vous-derange-060808-pt3_lifestyle#.UWMl4JONhqc
4 : http://www.dailymotion.com/video/x6ekf1_fr-inter-ca-vous-derange-060808-pt4_lifestyle#.UWMl85ONhqc

(8) Merci spécialement à Ludivine qui a très rapidement mis son résumé en ligne, il nous a aidé à organiser notre compte-rendu.

Je ne frappe pas ma fille

Par Ariane

[Nous accueillons ici le témoignage d’Ariane sur la non-violence éducative. Grandissons est tout à fait réceptive à ce genre de choses : cet espace est aussi une tribune, n’hésitez pas à nous contacter si vous voulez partager vos textes.]

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Je ne frappe pas ma fille parce que je ne vois pas pourquoi je la frapperais. Parce que je ne peux concevoir qu’on aime et qu’on frappe. Parce que je trouve que la violence n’est jamais une solution, et qu’on n’éduque pas avec la violence. Je me trouverais bien bête d’expliquer à ma fille qu’on ne tape pas après lui avoir collé une fessée. Je ne pourrais pas supporter de voir dans ses yeux l’incompréhension, l’injustice, la douleur. Je ne supporterais pas qu’elle ait peur de moi.

Je respecte ma fille. Je pense qu’élever un enfant, ce n’est pas le façonner, le réduire, le maintenir, le diriger. Je conçois la parentalité comme un accompagnement, et le parent comme un guide. Je suis d’abord là pour protéger ma fille. Je ne pense pas que cela soit compatible avec la violence.

On ne frappe pas un animal ou un adulte, pourquoi frapper un enfant qui est vulnérable, qui ne mesure pas ses actes, qui doit passer par quantité d’étapes et de degrés de conscience, et qui a besoin d’affection, de confiance, d’explications, de respect ?

Au-delà de cet aspect-là, de la dimension inique qu’a pour moi la violence « éducative », il y a tout simplement cette réalité-là : elle ne fonctionne pas. Les fessées, gifles et autres défoulements parentaux ou preuves de domination, n’ont pour effet que de susciter un trouble mental chez l’enfant : on peut m’aimer et me frapper. Cela a pour résultat de casser l’empathie, réfréner l’expression saine de ses sentiments et de ses émotions, d’obéir non par raison mais par peur du châtiment, de ne pas respecter mais craindre ses parents, de perdre confiance, de se blinder, et de se détester soi-même puisque les parents ont toujours raison et que s’ils le frappent, c’est bien qu’il est mauvais.

Les enfants qui n’ont pas été victimes de VEO (Violence Educative Ordinaire) n’en feront pas usage avec leurs propres enfants. La VEO est un modèle atavique d’éducation qui n’est reproduit que parce qu’il a pénétré profondément nos habitudes. Pourtant, on peut raisonnablement penser que des siècles de violence n’ont pu qu’être encouragés par l’intégration de la violence dès le plus jeune âge, l’acceptation de cette violence comme expression des émotions, comme punition, comme moyen de communication. Les zones de la planète où on constate le plus de violences, de guerres, de génocides, de guerres fratricides, sont aussi celles où la VEO fait partie du paysage éducatif, où elle est courante, normalisée, et même encouragée.

Je n’ai jamais eu envie de frapper ma fille de deux ans et demi. Je me mets en colère parfois, quand elle me résiste, quand elle ne veut pas mettre ses chaussures ou s’habiller, quand elle renverse dix fois son verre d’eau. Mais quand ça m’arrive, je fais une petite pause et je me rappelle qu’elle a deux ans et demi, qu’elle ne fait pas ça « pour m’embêter », qu’elle est tout simplement trop petite pour en avoir les capacités neurologiques, qu’elle éprouve ses capacités et son univers, que son cerveau est en pleine évolution, qu’il s’y créent plus d’un million de synapses par seconde, que me mettre en colère n’aura absolument aucun effet positif et qu’il vaut mieux lui expliquer calmement pourquoi j’aimerais qu’elle mette ses chaussures/s’habille/se dépêche/arrête de renverser son verre. Je me rappelle que ce n’est pas contre moi qu’elle fait des « bêtises », c’est parce qu’elle n’a pas le choix : elle a deux ans et demi. C’est une enfant. Elle apprend. Si on lui met une gifle, soit elle refera cette bêtise parce que ça fait partie de son développement normal, soit elle ne le fera plus mais par peur de la baffe. Et je remarque tous les jours avec ma fille qu’on peut résoudre les problèmes sans crier et sans violence, mais en expliquant, en négociant, et que les enfants apprennent plus vite et plus simplement quand ils ne se sentent pas menacés. C’est beaucoup plus efficace. N’attendons pas de nos enfants ce qu’ils ne peuvent pas nous donner. Les recherches neurologiques sur le développement de l’enfant nous démontrent qu’étant en évolution constante, ils acquièrent de nouvelles capacités au fur et à mesure, et qu’il y a beaucoup de choses qu’ils sont incapables de faire quand ils sont petits.

On oublie que nos enfants sont exactement cela : des enfants. Pas des adultes en miniatures. Ils n’ont pas le même cadre de référence que nous, la même perception du temps, de l’espace, l’expérience que nous avons.

Je vois des parents gronder leurs enfants parce qu’ils gigotent sur leur siège dans le tram, s’impatientent dans un supermarché, veulent mettre le pull vert au lieu du rouge : mais ça, nous le faisons aussi, et personne ne vient nous engueuler ou nous baisser le pantalon pour nous claquer les fesses. La plupart des parents que j’observe dans les lieux publics crient, stressent leurs enfants, les tirent, les poussent, les grondent, les frappent, les humilient. Leurs enfants ne font jamais rien de bien, jamais « comme il faut », sans la plupart du temps comprendre ce qu’ils ont fait de mal. Les parents leur parlent avec rudesse, mépris, « tu vas t’en prendre une, descends de là tout de suite, reste tranquille, dépêche-toi, bouge de là, tu m’énerves, tu vas y aller oui ?! » J’en ai même entendu dire « arrête de faire l’enfant ». Tout est dit. J’ai envie de leur demander pourquoi ils ont fait des enfants, et leur conseiller la prochaine fois d’adopter directement un adulte qui lui se conduira peut-être comme ils désirent. Ces enfants, stressés en permanence, et qui plus est collés devant des écrans, les yeux plein d’images ultrarapides, les oreilles remplies de sons agressifs, de publicités… Je ne suis pas étonnée une seconde de voir ces enfants devenir des adolescents agressifs, violents et qui ne remettent rien en question dans le monde qui les entoure : on n’a pas écouté ce qu’ils avaient à dire, on ne leur a pas expliqué, on n’a pas respecté leur personne.

On les a modelé-e-s : les garçons d’un côté, les filles de l’autre, ce qui est en soi une forme de violence puisqu’elle consiste à nier la personne, en imposant des activités, des jeux, des habits, et même des caractères et des sentiments à un enfant en fonction de son sexe.

On voudrait que nos enfants soient toujours « sages », qu’ils se laissent faire, qu’ils aillent où on les envoie, au gré de nos envies, et sans jamais rien en dire. Toute expression personnelle de l’enfant est taxée de caprice, un mot fourre-tout qui ne veut rien dire et qui permet de réduire la volonté de l’enfant à une intention de casser les pieds des parents.

Pour beaucoup de parents, éduquer consiste à dompter. Je pense, moi, qu’il suffit d’écouter son enfant, de le reconnaître comme une personne, mais avec des besoins particuliers, de le respecter, pour que l’éducation soit un accompagnement, et que les rapports parents-enfants soient beaucoup plus simples et agréables. Mais il faut pour cela déconstruire un schéma de pensée toxique qui s’impose à nous comme une évidence, comme il en existe tant. Mais je crois que l’évidence est là : si on veut un monde avec moins de violence, moins de stress, plus de respect et de sérénité, il faut commencer par chez soi, et commencer par les adultes de demain : nos enfants.