Je ne frappe pas ma fille

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Par Ariane

[Nous accueillons ici le témoignage d’Ariane sur la non-violence éducative. Grandissons est tout à fait réceptive à ce genre de choses : cet espace est aussi une tribune, n’hésitez pas à nous contacter si vous voulez partager vos textes.]

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Je ne frappe pas ma fille parce que je ne vois pas pourquoi je la frapperais. Parce que je ne peux concevoir qu’on aime et qu’on frappe. Parce que je trouve que la violence n’est jamais une solution, et qu’on n’éduque pas avec la violence. Je me trouverais bien bête d’expliquer à ma fille qu’on ne tape pas après lui avoir collé une fessée. Je ne pourrais pas supporter de voir dans ses yeux l’incompréhension, l’injustice, la douleur. Je ne supporterais pas qu’elle ait peur de moi.

Je respecte ma fille. Je pense qu’élever un enfant, ce n’est pas le façonner, le réduire, le maintenir, le diriger. Je conçois la parentalité comme un accompagnement, et le parent comme un guide. Je suis d’abord là pour protéger ma fille. Je ne pense pas que cela soit compatible avec la violence.

On ne frappe pas un animal ou un adulte, pourquoi frapper un enfant qui est vulnérable, qui ne mesure pas ses actes, qui doit passer par quantité d’étapes et de degrés de conscience, et qui a besoin d’affection, de confiance, d’explications, de respect ?

Au-delà de cet aspect-là, de la dimension inique qu’a pour moi la violence « éducative », il y a tout simplement cette réalité-là : elle ne fonctionne pas. Les fessées, gifles et autres défoulements parentaux ou preuves de domination, n’ont pour effet que de susciter un trouble mental chez l’enfant : on peut m’aimer et me frapper. Cela a pour résultat de casser l’empathie, réfréner l’expression saine de ses sentiments et de ses émotions, d’obéir non par raison mais par peur du châtiment, de ne pas respecter mais craindre ses parents, de perdre confiance, de se blinder, et de se détester soi-même puisque les parents ont toujours raison et que s’ils le frappent, c’est bien qu’il est mauvais.

Les enfants qui n’ont pas été victimes de VEO (Violence Educative Ordinaire) n’en feront pas usage avec leurs propres enfants. La VEO est un modèle atavique d’éducation qui n’est reproduit que parce qu’il a pénétré profondément nos habitudes. Pourtant, on peut raisonnablement penser que des siècles de violence n’ont pu qu’être encouragés par l’intégration de la violence dès le plus jeune âge, l’acceptation de cette violence comme expression des émotions, comme punition, comme moyen de communication. Les zones de la planète où on constate le plus de violences, de guerres, de génocides, de guerres fratricides, sont aussi celles où la VEO fait partie du paysage éducatif, où elle est courante, normalisée, et même encouragée.

Je n’ai jamais eu envie de frapper ma fille de deux ans et demi. Je me mets en colère parfois, quand elle me résiste, quand elle ne veut pas mettre ses chaussures ou s’habiller, quand elle renverse dix fois son verre d’eau. Mais quand ça m’arrive, je fais une petite pause et je me rappelle qu’elle a deux ans et demi, qu’elle ne fait pas ça « pour m’embêter », qu’elle est tout simplement trop petite pour en avoir les capacités neurologiques, qu’elle éprouve ses capacités et son univers, que son cerveau est en pleine évolution, qu’il s’y créent plus d’un million de synapses par seconde, que me mettre en colère n’aura absolument aucun effet positif et qu’il vaut mieux lui expliquer calmement pourquoi j’aimerais qu’elle mette ses chaussures/s’habille/se dépêche/arrête de renverser son verre. Je me rappelle que ce n’est pas contre moi qu’elle fait des « bêtises », c’est parce qu’elle n’a pas le choix : elle a deux ans et demi. C’est une enfant. Elle apprend. Si on lui met une gifle, soit elle refera cette bêtise parce que ça fait partie de son développement normal, soit elle ne le fera plus mais par peur de la baffe. Et je remarque tous les jours avec ma fille qu’on peut résoudre les problèmes sans crier et sans violence, mais en expliquant, en négociant, et que les enfants apprennent plus vite et plus simplement quand ils ne se sentent pas menacés. C’est beaucoup plus efficace. N’attendons pas de nos enfants ce qu’ils ne peuvent pas nous donner. Les recherches neurologiques sur le développement de l’enfant nous démontrent qu’étant en évolution constante, ils acquièrent de nouvelles capacités au fur et à mesure, et qu’il y a beaucoup de choses qu’ils sont incapables de faire quand ils sont petits.

On oublie que nos enfants sont exactement cela : des enfants. Pas des adultes en miniatures. Ils n’ont pas le même cadre de référence que nous, la même perception du temps, de l’espace, l’expérience que nous avons.

Je vois des parents gronder leurs enfants parce qu’ils gigotent sur leur siège dans le tram, s’impatientent dans un supermarché, veulent mettre le pull vert au lieu du rouge : mais ça, nous le faisons aussi, et personne ne vient nous engueuler ou nous baisser le pantalon pour nous claquer les fesses. La plupart des parents que j’observe dans les lieux publics crient, stressent leurs enfants, les tirent, les poussent, les grondent, les frappent, les humilient. Leurs enfants ne font jamais rien de bien, jamais « comme il faut », sans la plupart du temps comprendre ce qu’ils ont fait de mal. Les parents leur parlent avec rudesse, mépris, « tu vas t’en prendre une, descends de là tout de suite, reste tranquille, dépêche-toi, bouge de là, tu m’énerves, tu vas y aller oui ?! » J’en ai même entendu dire « arrête de faire l’enfant ». Tout est dit. J’ai envie de leur demander pourquoi ils ont fait des enfants, et leur conseiller la prochaine fois d’adopter directement un adulte qui lui se conduira peut-être comme ils désirent. Ces enfants, stressés en permanence, et qui plus est collés devant des écrans, les yeux plein d’images ultrarapides, les oreilles remplies de sons agressifs, de publicités… Je ne suis pas étonnée une seconde de voir ces enfants devenir des adolescents agressifs, violents et qui ne remettent rien en question dans le monde qui les entoure : on n’a pas écouté ce qu’ils avaient à dire, on ne leur a pas expliqué, on n’a pas respecté leur personne.

On les a modelé-e-s : les garçons d’un côté, les filles de l’autre, ce qui est en soi une forme de violence puisqu’elle consiste à nier la personne, en imposant des activités, des jeux, des habits, et même des caractères et des sentiments à un enfant en fonction de son sexe.

On voudrait que nos enfants soient toujours « sages », qu’ils se laissent faire, qu’ils aillent où on les envoie, au gré de nos envies, et sans jamais rien en dire. Toute expression personnelle de l’enfant est taxée de caprice, un mot fourre-tout qui ne veut rien dire et qui permet de réduire la volonté de l’enfant à une intention de casser les pieds des parents.

Pour beaucoup de parents, éduquer consiste à dompter. Je pense, moi, qu’il suffit d’écouter son enfant, de le reconnaître comme une personne, mais avec des besoins particuliers, de le respecter, pour que l’éducation soit un accompagnement, et que les rapports parents-enfants soient beaucoup plus simples et agréables. Mais il faut pour cela déconstruire un schéma de pensée toxique qui s’impose à nous comme une évidence, comme il en existe tant. Mais je crois que l’évidence est là : si on veut un monde avec moins de violence, moins de stress, plus de respect et de sérénité, il faut commencer par chez soi, et commencer par les adultes de demain : nos enfants.

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  1. sophie

    tout est dit ! bravo !

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